Le Désir fait-il nécessairement Souffrir ?

 

 

On pourrait penser que dès lors que l’on satisfait un désir, la plénitude apparaît. Mais en réalité, le désir n’est-il pas mélange de manque et d’insatisfaction ?Il n’y aurait donc aucuns désirs réalisables, aucunes satisfactions possibles ? Pourtant, quand je mange une pomme, ne suis-je pas satisfait ? Mais alors, le désir fait-il nécessairement souffrir ?Qu’en est-il en réalité ?

Pour approfondir cette idée il faut tous d’abord poser les questions ; "Qu’est-ce que Désirer ?", "Qu’est-ce que souffrir ? ", "Sont-ils compatibles ? ";  Puis " Le désir est-il un manque perpétuel ? ", Où nous verrons le Desiderium, et le désir du désir. Et enfin "Qu’en est-il du désir amoureux ? ", Où nous traiterons du mythe d’Eros, de l’amour non réciproque, et du désir du corps de l’autre.

 

"Qu’est-ce que Désirer ? "

 

         « Je désire cette voiture/ je désire partir en Espagne. »

Souhait de la réalisation de ce voyage ou de la possession de cette voiture. Cela engendre un manque ; puisque l’on ne possède pas l’objet du désir (voiture, voyage), il nous manque.

Il peut nous conduire à l’obsession, on peut devenir capable de tout pour éprouver ce sentiment de satisfaction un instant.

Ex ; Mon désir le plus fort est d’avoir une montre en or, je la vole, et comme j’ai commis un acte illégal, je vais en prison.

Dans ce cas le désir peut s’apparenter à une pulsion, il nous pousse à nous opposer aux lois, aux règles de la société.

Donc le désir pose problème, et dans les cas les plus extrêmes, comme le crime passionnel, peut nous rendre très dangereux.

On peut distinguer plusieurs types de désir par exemple, désirer une pomme n’est pas la même chose que désirer une personne.

 

"Je désire une pomme. "

On la veut, on l’a, on la mange. Comme on peut le croire, on éprouve une satisfaction, on a assouvi son désir, mais aussitôt le manque nous reprend.

En satisfaisant ce désir, j’ai aussi détruit l’objet du désir. Quand on satisfait un manque, on en crée un aussitôt.

La seule chose que l’on ne peut détruire alors, c’est le désir lui-même.

 

Pour ce qui est de "désirer une personne" ; on la désire, mais on ne doit pas la détruire, sinon on détruit le désir lui-même. Dans le cas du désir amoureux, tout est plus complexe. Ici, le désir c’est la pauvreté et la richesse. Quoique l’on désire, même en amour, le manque est toujours là.

 

Pour le désir d’amitié, c’est différent du désir amoureux, mais implique toujours le désir d’une personne.

L’amitié se définit comme une bienveillance réciproque. On désire que l’autre nous désire du bien. On recherche le désir de l’autre, on désire une amitié vertueuse.

 

Avec tout ce que l’on vient de voir, on peut dire que le désir est l’essence de l’homme, et aussi un cercle infini, qui nous pousse vers de buts, à tout mettre en œuvre pour avoir l’objet du désir. Une personne qui ne désire plus, est quasiment vouée à la mort.

 

Il ne faut pas confondre le désir et le besoin.

Le besoin a un caractère de nécessité. Ex ; les besoins vitaux sont nécessaires à l’organisme. "J’ai besoin de boire" est différant de "je désire boire du jus d orange".

Le besoin cesse lorsqu’il est satisfait. Ainsi, on ne désire pas respirer, c’est un besoin naturel qui se règule seul.

Pour définir "Désirer" en quelques lignes ;

"Désirer" ; c’est souhaiter la possession d’un objet de désirs, tout en ayant une sensation de manque, même après la satisfaction  de ce manque. Donc désirer est l’essence de l’homme, qui pousse à faire des choses, et c’est aussi un cercle infini, où l’on ne retrouve jamais de pleine satisfaction.

 

"Qu’est-ce que Souffrir ? "

 

Dans la souffrance chez l’homme, on peut clairement en différencier deux types ; la souffrance morale et la souffrance physique.

 

La souffrance physique ; "J’ai mal au bras, car je me suis cognée contre un mur. "

La douleur est généralement provoquée par un choc, une lésion, sur une partie de notre corps.

Ces deux mots sont d’ailleurs associés, douleur et souffrance.

Mais dans la souffrance, il y a une dimension que l’on ne retrouve pas dans la douleur ; c’est-à-dire que souffrir implique aussi subir. Souffrir c’est  en quelque sorte supporter une douleur, l’endurer.

Ex ; "Je souffre de la faim" ; je suis obligée de la supporter même si j’ai mal.

 

Souvent cette souffrance physique implique une souffrance morale ou montre une souffrance morale (par exemple ; Les gens qui se mutilent, provoque une souffrance physique mais à la base la souffrance est morale, généralement le rejet de son corps.)

Mais dans la plupart des cas la souffrance morale est à l’origine d’un sentiment ou d’une émotion difficile à supporter, et même d’un traumatisme (ex ; j’ai perdu un proche, je souffre : ce qui ne se retransmet pas forcément par le physique, la souffrance est morale.)

Cette même douleur peut aussi être provoquée par une insatisfaction, un manque (ex ; "Je désirais plus d’amour de ta part. " ; le manque, provoque de grosse souffrance morale, surtout quand cela se produit dans l’enfance, et peut entraîner tout un tas de maladie psychologique.)

 

La souffrance est le total contraire de la joie, tous les gens qui souffrent, qui doivent supporter un mal autant physique que moral, sont donc tous malheureux.

 

Pour résumer, je dirais :

"Souffrir" ; c’est supporter, subir des maux, autant physiques que moraux, et qui aboutissent tous au manque de bonheur.

 

"Sont-ils compatibles ? "

 

Les mots "Désirer" et "Souffrir" peuvent être compatibles dans le sens où ; Quand l’on désire quelque chose on ressent toujours une insatisfaction, un manque, même après avoir assouvit son désir. Et quand l’on souffre, moralement, cela peut-être à l’origine d’un manque ou d’une insatisfaction. Le désir peut donc provoquer de la souffrance. 

 

 "Le Désir est-il un manque perpétuel ? "

 

         Le Desiderium (qui est l’étymologie du mot désir) signifie "disparition de l’astre", et se déroule en trois parties, en trois images ; la première, l’astre est présent (on possède l’objet du désir ; la deuxième, l’astre disparaît (on a détruit l’objet du désir) ; la troisième, l’astre réapparaît.

 

On peut qualifier le désir de cette manière, c’est-à-dire que la possession de l’objet du désir, entraîne sa destruction : exemple du chocolat ; on en désire, mais pour le manger on est obligé de le détruire. Ce qui provoque un manque et à la fois la volonté de le combler.

Le désir est alors la recherche constante de l’objet du désir, que l’on pense être source de satisfaction.

Il est donc un cercle infini basé sur le manque, et la recherche perpétuelle de satisfaction, car le désir se déplace d’objet en objet et est condamné à l’insatisfaction. Par exemple, une personne riche qui a tous ce qu’elle veut ne peut désirer que des choses qui lui sont impossibles à obtenir, comme avoir toutes les femmes du monde, son désir est alors condamné à l’insatisfaction radicale.

On peut qualifier cette situation d’ambivalente ; c’est-à-dire que le désir veut et ne veut pas être satisfait. Car si, comme les besoins, les désirs pourraient être satisfaits, l’homme n’aurait plus aucunes sensations de manque qui le pousseraient à avoir des désirs.

C’est alors que l’on peut donner la définition du désir d’un philosophe ; Spinoza (1632-1677) ; "Le désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par une affection quelconque donnée en elle" (Éthique, IIIème partie, « Définition des affections », Définition I, in Œuvres de Spinoza, tome III, page 196, Garnier-Flamarrion.)

En effet le désir comme "essence de l’homme" n’est pas opposé au manque, il en est la preuve même, car si le manque n’était pas constant dans le désir ; il ne pousserait pas l’homme à toujours désirer plus, et parfois même à désirer des choses impossibles.

 

"Mais alors aucun désir ne peut être satisfait ? "

 

         En reprenant l’image du Desiderium, on peut se demander ce qui nous pousse à détruire l’objet du désir, et à ne pas le garder indéfiniment près de nous. Mais le désir que l’on éprouve pour cet objet nous amène à le détruire, car le désir entraîne le désir.

Alors si je veux encore désirer, je dois détruire l’objet, ce qui provoque un manque et me pousse à le combler par un autre désir.

Le seul désir que l’on ne peut détruire, c’est le désir de désir.

Reprenons l’exemple du chocolat, ce qui me pousse à le détruire, et à créer un manque, c’est que je sais que ce même manque me poussera à désirer d’autres carrés de chocolat pour le combler : Le seul désir qui ne se détruit pas, c’est le désir de désirer du chocolat.

 

Le désir est donc un manque perpétuel ; un cercle infini basé sur le manque et la recherche de satisfaction. Mais dans le désir aucune satisfaction n’est possible, sinon il ne pourrait être définit comme "l’essence de l’homme" par Spinoza.

  

"Qu’en est-il du désir amoureux ? "

 

         Lucrèce (98-55 av. J-C.) , dans Les nœuds puissants de Vénus tiennent bien leur proie ; il nous montre que l’amour ne repose que sur une illusion, et que le désir amoureux est impossible à satisfaire, qu’il entraîne une insatisfaction totale ; la femme est considérée comme "destructrice" de l’homme en profitant de l’amour qu’il a pour elle.

 

Mais on peut nuancer cette vision ; dans Le banquet de Platon (427-347 av. J-C), Socrate (470-399 av. J-C)  raconte le mythe d’Eros, le dieu de l’amour, c’est-à-dire de sa naissance. En effet, Eros a deux parents bien particuliers ; sa mère est Pénia, qui signifie pauvreté, et son père Poros, qui signifie richesse.

On peut donc définir l’amour comme la pauvreté et la richesse, le manque et la plénitude. Donc dans le désir amoureux la souffrance, le manque et l’insatisfaction se mêlent à la ressource.

C’est pour cela que le désir amoureux est le plus complexe..

L’objet du désir est une personne, pour assouvir son désir, il ne faut pas la détruire sinon on détruit le désir lui-même. Et on détruit aussi la possibilité de devenir à son tour objet de désir pour cette personne. Par exemple, se sentir désirer implique une certaine satisfaction de soi, mais aussi une constante recherche du désir, qui aboutira à un manque, une insatisfaction, même voir une frustration, car tout le monde ne nous désire pas.

 

Mais il n’y a pas pire souffrance quand l’amour que l’on porte à une personne n’est pas réciproque. L’amoureux n’est alors plus maître de lui-même, ses attitudes, ses jugements ne lui appartiennent plus, une seule chose l’obsède ; l’autre.

C’est alors qu’une toute petite chose (odeur, tissu, couleur…) peut rappeler l’objet du désir qui fait tant souffrir. On peut expliquer cela par quelque chose connu de tous ; plus l’objet est inaccessible, plus on le désire et donc plus on souffre. Et d’ailleurs à force de souffrance la haine peut apparaître, car elle est le fruit d’un manque, d’un amour non satisfait.

Remarquons que quoique l’on désire, même dans l‘amour le manque est toujours présent.

 

Tout comme dans le désir sexuel, qui fait partie de l’amour.

D’ailleurs, Hegel (1770-1831) dans La phénoménologie de l’Esprit, montre que l’objet du désir humain est la possession du désir de l’autre, essaye d’être atteint, entre autres, dans l’acte amoureux.

Le désir de posséder le corps de l’autre, de ne faire qu’un, est totalement impossible, car l’autre pense différemment de nous, à des désirs différents, et surtout l’autre est aussi libre que nous. Et le fait que l’on ne soit pas certain des sentiments de l’autre, des pensées de l’autre rajoute encore une impossibilité à la fusion des deux corps durant l’acte sexuel. Cela entraîne une frustration, une insatisfaction.

  

 

 

 

Enfin pour conclure, je dirais que désirer nécessite la souffrance, car une plénitude dans le désir amènerait le cercle infini à se rompre, donc le désir n’agirait plus en tant qu’essence de l’homme, l’homme n’aurait plus de buts. Ainsi l’insatisfaction dans le désir amoureux n’est que la continuité de tous les autres désirs. Quoique l’on désire, même en amour, le manque, l’insatisfaction, la souffrance sont partout présents.

 

Merci à P.G. pour ce corrigé.