Etude d'un texte de Descartes: Notre pouvoir sur nos passions.
 

« Mais ce qu'on peut toujours faire en telle occasion, et que je pense pouvoir mettre ici comme le remède le plus général et le plus aisé à pratiquer contre tous les excès des passions, c'est que lorsqu'on se sent le sang ainsi ému, on doit être averti et se souvenir que tout ce qui se présente à l'imagination tend à tromper l'âme et à lui faire paraître les raisons qui servent à persuader l'objet de sa passion beaucoup plus fortes qu'elles ne sont, et celles qui servent à la dissuader beaucoup plus faibles. Et lorsque la passion ne persuade que des choses dont l'exécution souffre quelque délai, il faut s'abstenir d'en porter sur l'heure aucun jugement, et se divertir par d'autres pensées jusqu'à ce que le temps et le repos aient entièrement apaisé l'émotion qui est dans le sang. Et enfin, lorsqu'elle incite à des actions touchant lesquelles il est nécessaire qu'on prenne résolution sur-le-champ, il faut que la volonté se porte principalement à considérer et à suivre les raisons qui sont contraires à celles que la passion représente, encore qu'elles paraissent moins fortes: comme lorsqu'on est inopinément attaqué par quelque ennemi, l'occasion ne permet pas qu'on emploie aucun temps à délibérer. Mais ce qu'il me semble que ceux qui sont accoutumés à faire réflexion sur leurs actions peuvent toujours, c'est que, lorsqu'ils se sentiront saisis de la peur, ils tâcheront à détourner leur pensée de la considération du danger, en se représentant les raisons pour lesquelles il y a beaucoup plus de sûreté et plus d'honneur en la résistance qu'en la fuite; et au contraire, lorsqu'ils sentiront que le désir de vengeance et la colère les incitent à courir inconsidérément vers ceux qui les attaquent, ils se souviendront de penser que c'est imprudence de se perdre quand on peut sans déshonneur se sauver, et que si la partie est fort inégale, il vaut mieux faire une honnête retraite ou prendre quartier que s'exposer brutalement à une mort certaine. »
Descartes
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Thème: La philosophie est au sens étymologique: la recherche  et/ou désir de la sagesse ; or la sagesse consiste à être capable de se maîtriser soi même « contre » nos passions qui sont des désirs qui ne connaissent aucune limites dans la recherche de la satisfaction immédiate et donc qui sont par nature déraisonnables, aveugles et violents, c'est à dire, destructeurs des autres et de soi, de tout ordre collectif stable et harmonieux et de tout équilibre vital personnel; mais le problème, enforme de paradoxe apparent, est alors de savoir si, justement,  nous sommes capables de nous opposer aux désordres des passions  par nous même, si donc nous sommes libres de choisir par nous même d'y résister; la réponse philosophique classique est d'affirmer que l'homme grâce à sa raison, comme faculté d'ordonner logiquement ses pensée et ses actes peut agir sur ses passions pour les réprimer ou les exploiter dans un sens positif choisi selon des motifs jugés rationnellement tels, c'est à dire conformes à la paix civile et au bien vivre personnel durable. Or cette réponse est contestable: comment en  effet la raison qui est sans force propre dès lors qu'elle se met hors toute motivation désirante, pourrait elle s'opposer à la force quasi irrésistible des passions qui nous poussent à agir instantanément sans réfléchir et fait, par nature, échec ou obstacle à toute interrogation  sur la valeur rationnelle de nos motivations.
C'est ce  paradoxe que Descartes tente de réduire dans ce texte (au sens où l'on réduit une fracture)  en posant un principe pratique général et en le déclinant selon les circonstances et en  en précisant la condition de possibilité et d'usage . Ce principe est le suivant: Savoir que nos passions sont par nature trompeuses et donc nous en défier par décision a priori afin de les démystifier et de les vider de leur caractère spontanément illusoire qui nous les présente comme des vérités bonnes réalises et/ou réalisables sans contradictions; ainsi elles s'affaibliront au point de perdre leur caractère passionnel irrésistible au profit de désirs raisonnés et donc maîtrisés et maîtrisables.
Problématique: Mais ce principe doit être applicable, or comment peut-il l'être dès lors que la passion a tendance à refuser tout ce qui s'oppose à sa satisfaction immédiate? C'est ce que cherche à monter Descartes: la   volonté raisonnable et libre peut se donner des contre passions pour agir sur les passions et peut donc faire un bon usage des passions pour en assurer la maîtrise dans un sens positif en vertu  du pouvoir de représentation et d'imagination ou d'anticipation dont elle dispose. Ce pouvoir, à son  tour se forge pas l'habitude mentale qu'est l'auto éducation et l'autosuggestion philosophique et critique permanente  systématique contre le mirage des passions incontrôlé.
L'enjeu du texte est donc clair: la philosophie est un savoir qui implique un travail sur soi continuel dans le but de bien-vivre avec les autres et avec soi; elle doit transformer notre rapport à nous-même et à nos passions en faisant usage du pouvoir de la vérité et de la recherche critique et du doute qu'elle met en œuvre. Mais ce travail suppose à son tour une volonté autonome qui puisse choisir entre le bien et le mal d'une manière délibérée -ce que Descartes appelle la générosité- et d’action sur ses passions qui,  nous dit-il, sont dans l'âme mais procède de l'action du  corps sur elle; une telle thèse donc renvoie à la question du libre-arbitre et de la dualité essentielle entre l'âme et le corps et de leur relations réciproques paradoxales: comment le corps matériel peut-il agir sur une âme immatérielle et comment un âme sans force matérielle peut-elle agir sur un corps purement matériel et mécanique dans son fonctionnement? La position de Descartes ne présuppose-t-elle pas ce qu'elle prétend rendre possible, à savoir, le pouvoir  de la volonté raisonnable sur les passions donc de l'âme sur le corps, en un cercle logique dont le caractère vicieux ou vertueux reste à évaluer?
La réponse à cette question suppose donc  une interrogation raisonnée, attentive et critique du texte quant à son enjeu philosophique: la puissance de notre libre-arbitre ses obstacles que sont les passions et le moyens que nous devons nous donner pour l'accroître, car il ne suffit pas de les avoir, encore faut-il le savoir et décider d'en faire usage.
 
Etude ordonnée du texte

1) Etude globale :

De « mais à faibles », Le texte est composé selon une forme linéaire et analytique ; Après avoir exposé un principe général sans argumentation centrale, ni discussion, ni  renversement dialectique de position (De «mais… à faibles »), l’auteur en décline exhaustivement les diverses modalités particulières selon « tous » les cas ou circonstances possibles (d’après lui ) (De « Et lorsque…à délibérer); ce qui, ici, lui semble suffisant pour valider le principe dans sa généralité ; chacune de ces modalités (ou modulations) est à expérimenter par chaque lecteur pour en évaluer la pertinence expérimentale pour lui-même car il s’agit d’un principe pratique dont le critère est l’efficacité technique (sa réussite en vue de la  fin d’une action reconnue comme bonne du point de vue du sujet de l’action)  et non pas d’un principe de connaissance qui relève du principe de vérité démonstrative, indépendamment de toute fin désirable et/ou souhaitable subjective, sinon de désir de vérité objective. (Le « vrai objectif » concerne ce qui est et le « bien subjectif (universel ou particulier) », ce qui n’est pas (encore) et doit être et ces valeurs (vrai/bien) ne relèvent pas du même désir et des mêmes critères d’appréciation). Cette déclinaison se déploie selon la croissance de la difficulté des cas : pour que le principe, dans sa généralité,  soit valide, il convient en effet qu’il soit possible, y compris dans les cas où son application apparaît comme la plus difficile, voire à l’examen superficiel, impossible (c’est là que le texte présuppose une dialectique implicite, en répondant à des objections éventuelles non formulées qui invaliderait sur tel ou tel cas la généralité du principe). Elle se conclut par l’attitude de ceux qui ont l’habitude de la réflexion que sont par excellence les philosophes ; laquelle apparaît alors comme exemplaire dans cette entreprise de contrôle des passions car elle est celle qui va jusqu’au bout de la maîtrise de soi qu’est la sagesse et dès lors que chacun, parce que raisonnable (« le bon sens ou raison est, en effet, la chose du monde la mieux partagée » pour notre auteur) donc la montre comme possible (de Mais… à la fin). Quel est ce principe et quelles en sont les modalités d’usage? Le principe est celui du doute méthodique, voire systématique sinon sceptique sur les croyances qui accompagnent nos passions, qui les stimulent et les excitent : le passionné adhère à sa passion au point de croire à priori son objet bon et réalisable car les raisons en sa faveur lui semble nécessairement fortes et celles qui l’en détourneraient faibles. D’où la question : en quoi pouvons-nous affaiblir nos passions par l’usage « du souvenir » volontairement invoqué de leur propension à nous tromper ? En quoi la volonté de douter peut-elle s’opposer à la quasi-certitude précipitée que la passion génère afin de nous détourner de celle-ci et/ou d’en limiter les effets nuisibles (illusoires)? Descartes va moduler l’étude de ces questions selon trois cas : le premier, le plus aisé, met en jeu la durée reconnue par le sujet, entre la passion et sa satisfaction afin de suspendre le jugement d’action; le second traite des situations où la passion (et le sujet) croit et/ou doit pouvoir se satisfaire instantanément et donc exige une décision immédiate d’action. Le dernier, le plus significatif du point de vue du principe du doute, concernent le cas de l’homme de réflexion, en tant qu’il est le plus capable de jouer ses passions les une contre les autres « à volonté » et avec lucidité car il s’est habitué, par le doute, à se mettre à distance de sa subjectivité trompeuse ; ce qui en fait un modèle de sagesse pour tout homme, « raisonnable » et donc critique par définition. D’où la question : en quoi la réflexion philosophique est-elle une arme pour bien-vivre ses passions ?

2) Etude conceptuelle.

2-1 Passion et doute

« Mais ce qu'on peut toujours faire en telle occasion, et que je pense pouvoir mettre ici comme le remède le plus général et le plus aisé à pratiquer contre tous les excès des passions, c'est que lorsqu'on se sent le sang ainsi ému, on doit être averti et se souvenir que tout ce qui se présente à l'imagination tend à tromper l'âme et à lui faire paraître les raisons qui servent à persuader l'objet de sa passion beaucoup plus fortes qu'elles ne sont, et celles qui servent à la dissuader beaucoup plus faibles. »
Explication :Le fait de douter de la valeur des passions et de leur objet (objectif) est donc ici affirmé comme un principe général pour qui veut s’en assurer le contrôle afin de réussir dans ses actions : pour Descartes en effet, la passion est l’effet du corps sur l’âme et tend à soumettre celle-ci au corps pour mettre hors jeu la volonté libre (le libre-arbitre) au profit d’une dépendance qui produit nécessairement l’échec de nos actions et l’insatisfaction (ou déception) ; elle génère la précipitation qui nous empêche de reconnaître d’une manière claire et distingue le vrai du faux, le bien du mal qui relève de la raison universelle innée dont les énoncés de base sont nécessairement cohérents et réalistes. Plus précisément, pour Descartes,  la passion est l’effet d’une force, d’une pression,  mécanique aveugle spontanée du corps sur l’âme, et en cela nous fait juger vraies ou bonnes des idées qui ne sont ni claires, ni distinctes (elles sont pas ou mal définies et donc confuses quant à leur objet) au yeux de la raison comme faculté d’éviter les contradictions entre nos idées et entre nos idées et leur objet réel et donc qui seule peut nous permettre de distinguer clairement le réel (ou le réalisable) de l’imaginaire afin d’éviter l’illusion toujours décevante. C’est dire qu’il convient de combattre cette force mécanique en lui opposant le désir de vérité résultant du souvenir de nos déceptions antérieures, qui nous rappellent la nature trompeuse des passions que nous avons (mal)vécues. On voit donc que le désir de vérité ne tombe pas du ciel : il accompagne le sentiment de nos échecs et de notre impuissance passés dus à nos erreurs passées ; en ce sens il est aussi passionnel mais il agit dans le sens du doute, de la méfiance vis-à-vis de l’illusion (prendre une erreur pour une vérité ou une fiction pour une réalité) qui accompagne la précipitation des passions actuelles. Or pour Descartes, il y a deux manières de douter : l’une sceptique qui subit l’erreur mais croit y échapper en prétendant qu’aucune vérité n’est possible ou qui refuse d’agir en prétendant que toute action est illusoire et décevante et donc qui nous installe dans l’impuissance radicale et l’autre qui utilise le doute en vue de nous assurer de la vérité sur des bases démonstratives objectives logiques et/ou expérimentales suffisantes pour combattre la déformation unilatérale induite par la passion qui consiste à nous faire toujours voir la valeur de son objectif sous un jour favorable et refuser toute critique de ses faiblesses (idées obscures et confuses,  impossibilité de ses objectifs, désavantages de ses conséquences et déceptions éventuelles etc..). Ainsi pour Descartes nous disposons du désir de vérité et du moyen de la reconnaître, la raison, comme on le voit en mathématiques, et c’est pourquoi le doute peut agir contre la passion : il est la force même de la vérité, expression de la volonté libre de l’âme qui cherche le bien-vivre durable et conséquent, en récusant l’illusion et la souffrance qu’elle provoque à terme. La volonté raisonnable est une puissance spirituelle qui peut canaliser et orienter la puissance mécanique du corps, à son profit et selon ses décisions propres, soumise à l’exigence critique du doute en vue de la vérité bonne : celle qui accroît notre puissance d’agir sur le monde et nous-même afin de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » mécanique (qui, en elle-même, n’obéit qu’au déterminisme aveugle des causes et des effets selon des lois quantitative mathématiques et/ou mathématisables constantes) et, de notre corps-machine, qui indépendamment de l’action de notre âme sur lui en fait intégralement partie.

2-2 Passion et temporalité

« Et lorsque la passion ne persuade que des choses dont l'exécution souffre quelque délai, il faut s'abstenir d'en porter sur l'heure aucun jugement, et se divertir par d'autres pensées jusqu'à ce que le temps et le repos aient entièrement apaisé l'émotion qui est dans le sang. Et enfin, lorsqu'elle incite à des actions touchant lesquelles il est nécessaire qu'on prenne résolution sur-le-champ, il faut que la volonté se porte principalement à considérer et à suivre les raisons qui sont contraires à celles que la passion représente, encore qu'elles paraissent moins fortes: comme lorsqu'on est inopinément attaqué par quelque ennemi, l'occasion ne permet pas qu'on emploie aucun temps à délibérer. »
Explication : Deux situations doivent être distinguées quant au pouvoir de l’âme sur le corps : celle où ce pouvoir bénéficie de temps pour s’exercer et celle, au contraire, où elle doit s’exercer sur le champs ; elles n’engagent pas la puissance de l’âme de la même manière .  Dans le premier cas la décision peut être différée sans risque immédiat pour le sujet (sa vie ou son honneur), dans le second, toute mise en attente est mortelle ou humiliante et l’action doit être immédiate pour éviter l’anéantissement  physique et/ou moral.
Il suffit, dans le cas où l’attente est possible sans dommage, c’est à dire lorsque la situation objective le permet (ce qui exige une juste appréciation de l’inscription temporelle réelle de notre action et de son enjeu) , de réduire l’effet de précipitation que produit la pression du corps sur l’âme pour attendre qu’il se calme de lui-même : le corps, en effet, pour Descartes est travaillé par des forces mécaniques rythmiques et de mouvements cycliques (ex : veille/sommeil, effort/fatigue; désir/détente, voire jeunesse/vieillesse, mort/vie). Les passions qui ne sont que les effets mécaniques du corps sur l’âme s’apaisent donc d’elles mêmes dans le temps ; il est donc relativement facile pour l’âme de résister à la pression du corps sans conséquences nuisibles ; il lui suffit de refuser d’accorder au corps ce qu’il demande, agir dans l’instant, en se (le) distrayant ; c’est à dire en le détournant de ses objectifs, en se les représentant comme douteux ou mieux en refusant de leur accorder la valeur subjective et fausse que la passion (par elle-même instantanée) provoque par sa pression. Il suffit alors de suspendre son jugement, c’est à dire à pratiquer le doute volontaire dont l’âme est toujours capable car elle est essentiellement puissance de jugement et de vérité et, par là, volonté raisonnée et raisonnable. Opposer la volonté de douter à l’illusion passionnelle est une affaire intérieure à l’âme qui concerne deux facultés, la raison et la sensibilité, qui ne peuvent agir que par l’effet des représentations (idées) des choses et non par le seul effet  de forces mécaniques pures et aveugles (non-conscientes) des choses et des forces corporelles, car rien dans l’âme, toujours conscientes de toutes ses idées (toute « re »présentation est réflexion et est par définition consciente, car elle exige l’action de l’âme pour se présenter à elle) ne peut échapper au pouvoir de l’âme et en ce qui concerne la vérité, qui est représentation consciente par excellence, ce pouvoir est absolu. Faire jouer le pouvoir de juger en quoi consiste la raison comme pouvoir absolu de distinguer le vrai du faux suffit à différer la représentation de l’urgence apparente et fallacieuse que provoque la passion ; et à attendre qu’elle se calme d’elle-même par épuisement de sa ressource énergétique corporelle.
Il n’en est pas de même en ce qui concerne les actions qui ne souffre aucun délai et dans laquelle la décision d’agir doit être immédiate pour éviter une catastrophe physique et/ou morale. La mise en attente et la suspension du jugement  qu’est le doute volontaire est, alors ,une cause d’échec assuré. Quand il faut alors agir dans l’instant sans savoir ce qui est vrai et faux , il peut sembler que cette action instantanée semble entièrement soumise à la précipitation qui est le propre des passions (actions corporelles) aveugles dans l’âme. Or Descartes assure, au contraire, que l’âme conserve un pouvoir indirect : celui d’opposer à une passion  une contre passion qu’elle peut réveiller volontairement dans l’âme en mettant en œuvre son imagination rationnelle et sa mémoire  afin de prévoir les conséquences de nos actions et les avantages et les dangers qu’elles sont susceptibles d’entraîner. Cette capacité de l’âme se « re »présenter volontairement les passions contraires grâce à l’imagination et à la mémoire, permet donc à l’âme de tempérer le besoin d’agir aveuglément (sans réflexion) qu’engendre la passion présente et de nous y opposer efficacement (sans la supprimer tout à fait). Calculer les risques et utiliser la peur des conséquences négatives futures imaginées (projetées) pour compenser le plaisir  qui n’est que la décharge d’une tension corporelle actuelle que procure  l’action immédiate selon la passion présente est toujours possible à qui veut agir très vite avec un discernement minimal pour éviter les réactions les plus violentes et les plus dangereuses pour les autres et pour soi. Là, la volonté raisonnable ne peut agir qu’en jouant sur l’inscription représentée et rationalisée dans le temps de l’action et de ses effets sur le complexe de nos passions contraires et  en opposant les passions  futures et/ou passées au présent de la passion immédiate. Nous sommes libres vis-à-vis de nos passion dans la mesure nous sommes capables de choisir entre elles, dès lors qu’elles sont  contraires  et que nous pouvons jouer sur leur contrariété pour les ordonner selon des représentations plus raisonnables ; c’est à dire plus cohérentes au regard de nos actions en vue du bien-vivre qui, lui même, est partagé entre deux désirs , parfois contraires  : survivre aux dangers en fuyant  le risque de la mort et/ou  vivre dans l’honneur ou la satisfaction de prendre ce risque pour s’affirmer comme valeur supérieure à la vie biologique et corporelle ; c’est à dire comme volonté et âme dont le but spécifique est d’affirmer sa puissance spirituelle propre comme supérieure à celle du corps.

2-3 Passion et volonté : le rôle de la philosophie

« Mais ce qu'il me semble que ceux qui sont accoutumés à faire réflexion sur leurs actions peuvent toujours, c'est que, lorsqu'ils se sentiront saisis de la peur, ils tâcheront à détourner leur pensée de la considération du danger, en se représentant les raisons pour lesquelles il y a beaucoup plus de sûreté et plus d'honneur en la résistance qu'en la fuite; et au contraire, lorsqu'ils sentiront que le désir de vengeance et la colère les incitent à courir inconsidérément vers ceux qui les attaquent, ils se souviendront de penser que c'est imprudence de se perdre quand on peut sans déshonneur se sauver, et que si la partie est fort inégale, il vaut mieux faire une honnête retraite ou prendre quartier que s'exposer brutalement à une mort certaine. »
Explication : « Ceux qui sont accoutumés à faire réflexion » sont par excellence les philosophes dès lors qu’ils ne se contentent pas de suivre les autres mais qu’ils s’efforcent de  penser les fondements de leurs représentations quant à leur vérité et/ou justesse et qu’il peuvent par eux-mêmes choisir l’attitude qui convient au bien-vivre dans telle ou telle situation, sachant qu’il ont toujours au moins deux attitudes possibles devant des dangers et les situations d’urgence qu’elles engendrent : les fuir pour sauver sa peau ou les affronter au risque de mourir. Entre la lâcheté ou la mort, l’honneur ou la vie, le philosophe est préparé par sa réflexion antérieure à faire un choix conscient et délibéré dans chaque situation nouvelle qui exige une décision immédiate. Or être philosophe, c’est se préparer à l’avance au compromis entre des exigence contraires comme ultime règle de prudence et celle-ci doit toujours tenter de concilier les contraires : la vie et l’honneur, la vie dans l’honneur ; ce qui veut dire que  le choix de mourir n’est pas philosophique ; car contraire à notre nature corporelle : l’âme doit aussi respecter le corps, car elle ne peut s’affirmer comme valeur positive que dans l’accroissement de notre puissance de vie, qui est indissociablement corporelle et spirituelle. Le pouvoir de l’âme est un pouvoir de vie et non de choix entre la vie et la mort : le bien-vivre implique que l’on réconcilie l’honneur (valeur spirituelle ) et la vie (valeur biologique) d’autant que nul ne peut vivre courageusement en fuyant dans le mort, illusoirement glorieuse, de celui qui veut en finir avec les contradictions de la vie en recherchant la mort pour sauver son prétendu, mais stérile et impuissant honneur.
Or, en cela le philosophe l’emporte sur tous les autres : sa réflexion est interrogation sur soi et ses passions pour en faire le meilleur usage et le vrai philosophe n’est pas celui qui sacrifierait les une aux autres mais qui saurait, par des choix positifs, les réguler en les équilibrant. Philosopher c’est déterminer en chaque situation ce qui convient au mieux, c’est à dire au moins mal, à la vie.

Conclusion :

Etre philosophe c’est prendre conscience de ce que sont nos passions et désirs et de ce qui les conditionne et justifie afin de nous libérer de l’impuissance qui conduit de la perte de soi. Si chacun est libre en puissance, il ne peut l’être en acte que par la connaissance rationnelle et critique (philosophique) de son corps et de ses passions pour mieux-vivre c’est à dire vivre une vie moins conflictuelle. Qu’il faille distinguer l’âme du corps pour définir l’homme , ne signifie pas qu’il faille les opposer mais que leur relations substantielle doit être de respect mutuel sous le contrôle de l’âme qui se connaît et se reconnaît dans son pouvoir régulateur sur le corps et elle-même en vue du plus grand bonheur possible (contentement de soi) en cette vie. En cela, contre toute position sacrificielle, le texte de Descartes nous rappelle que la vie bonne, c’est à dire philosophique,  est accomplissement de soi par l’accroissement de sa puissance de pensée et d’agir.


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