« Mais ce qu'on peut toujours
faire
en telle occasion, et que je pense pouvoir mettre ici comme le
remède
le plus général et le plus aisé à pratiquer
contre tous les excès des passions, c'est que lorsqu'on se sent
le sang ainsi ému, on doit être averti et se souvenir que
tout ce qui se présente à l'imagination tend à
tromper
l'âme et à lui faire paraître les raisons qui
servent
à persuader l'objet de sa passion beaucoup plus fortes qu'elles
ne sont, et celles qui servent à la dissuader beaucoup plus
faibles.
Et lorsque la passion ne persuade que des choses dont
l'exécution
souffre quelque délai, il faut s'abstenir d'en porter sur
l'heure
aucun jugement, et se divertir par d'autres pensées
jusqu'à
ce que le temps et le repos aient entièrement apaisé
l'émotion
qui est dans le sang. Et enfin, lorsqu'elle incite à des actions
touchant lesquelles il est nécessaire qu'on prenne
résolution
sur-le-champ, il faut que la volonté se porte principalement
à
considérer et à suivre les raisons qui sont contraires
à
celles que la passion représente, encore qu'elles paraissent
moins
fortes: comme lorsqu'on est inopinément attaqué par
quelque
ennemi, l'occasion ne permet pas qu'on emploie aucun temps à
délibérer.
Mais ce qu'il me semble que ceux qui sont accoutumés à
faire
réflexion sur leurs actions peuvent toujours, c'est que,
lorsqu'ils
se sentiront saisis de la peur, ils tâcheront à
détourner
leur pensée de la considération du danger, en se
représentant
les raisons pour lesquelles il y a beaucoup plus de sûreté
et plus d'honneur en la résistance qu'en la fuite; et au
contraire,
lorsqu'ils sentiront que le désir de vengeance et la
colère
les incitent à courir inconsidérément vers ceux
qui
les attaquent, ils se souviendront de penser que c'est imprudence de se
perdre quand on peut sans déshonneur se sauver, et que si la
partie
est fort inégale, il vaut mieux faire une honnête retraite
ou prendre quartier que s'exposer brutalement à une mort
certaine.
»
Descartes
___________________________
Thème: La philosophie
est
au sens étymologique: la recherche et/ou désir de
la
sagesse ; or la sagesse consiste à être capable de se
maîtriser
soi même « contre » nos passions qui sont des
désirs
qui ne connaissent aucune limites dans la recherche de la satisfaction
immédiate et donc qui sont par nature déraisonnables,
aveugles
et violents, c'est à dire, destructeurs des autres et de soi, de
tout ordre collectif stable et harmonieux et de tout équilibre
vital
personnel; mais le problème, enforme de paradoxe apparent, est
alors
de savoir si, justement, nous sommes capables de nous opposer aux
désordres des passions par nous même, si donc nous
sommes
libres de choisir par nous même d'y résister; la
réponse
philosophique classique est d'affirmer que l'homme grâce à
sa raison, comme faculté d'ordonner logiquement ses
pensée
et ses actes peut agir sur ses passions pour les réprimer ou les
exploiter dans un sens positif choisi selon des motifs jugés
rationnellement
tels, c'est à dire conformes à la paix civile et au bien
vivre personnel durable. Or cette réponse est contestable:
comment
en effet la raison qui est sans force propre dès lors
qu'elle
se met hors toute motivation désirante, pourrait elle s'opposer
à la force quasi irrésistible des passions qui nous
poussent
à agir instantanément sans réfléchir et
fait,
par nature, échec ou obstacle à toute interrogation
sur la valeur rationnelle de nos motivations.
C'est ce paradoxe que Descartes tente de réduire dans
ce texte (au sens où l'on réduit une fracture) en
posant
un principe pratique général et en le déclinant
selon
les circonstances et en en précisant la condition de
possibilité
et d'usage . Ce principe est le suivant: Savoir que nos passions sont
par
nature trompeuses et donc nous en défier par décision a
priori
afin de les démystifier et de les vider de leur caractère
spontanément illusoire qui nous les présente comme des
vérités
bonnes réalises et/ou réalisables sans contradictions;
ainsi
elles s'affaibliront au point de perdre leur caractère
passionnel
irrésistible au profit de désirs raisonnés et donc
maîtrisés et maîtrisables.
Problématique: Mais ce
principe
doit être applicable, or comment peut-il l'être dès
lors que la passion a tendance à refuser tout ce qui s'oppose
à
sa satisfaction immédiate? C'est ce que cherche à monter
Descartes: la volonté raisonnable et libre peut se
donner
des contre passions pour agir sur les passions et peut donc faire un
bon
usage des passions pour en assurer la maîtrise dans un sens
positif
en vertu du pouvoir de représentation et d'imagination ou
d'anticipation dont elle dispose. Ce pouvoir, à son tour
se
forge pas l'habitude mentale qu'est l'auto éducation et
l'autosuggestion
philosophique et critique permanente systématique contre
le
mirage des passions incontrôlé.
L'enjeu du texte est donc clair: la philosophie est un savoir qui
implique
un travail sur soi continuel dans le but de bien-vivre avec les autres
et avec soi; elle doit transformer notre rapport à
nous-même
et à nos passions en faisant usage du pouvoir de la
vérité
et de la recherche critique et du doute qu'elle met en œuvre. Mais ce
travail
suppose à son tour une volonté autonome qui puisse
choisir
entre le bien et le mal d'une manière
délibérée
-ce que Descartes appelle la générosité- et
d’action
sur ses passions qui, nous dit-il, sont dans l'âme mais
procède
de l'action du corps sur elle; une telle thèse donc
renvoie
à la question du libre-arbitre et de la dualité
essentielle
entre l'âme et le corps et de leur relations réciproques
paradoxales:
comment le corps matériel peut-il agir sur une âme
immatérielle
et comment un âme sans force matérielle peut-elle agir sur
un corps purement matériel et mécanique dans son
fonctionnement?
La position de Descartes ne présuppose-t-elle pas ce qu'elle
prétend
rendre possible, à savoir, le pouvoir de la volonté
raisonnable sur les passions donc de l'âme sur le corps, en un
cercle
logique dont le caractère vicieux ou vertueux reste à
évaluer?
La réponse à cette question suppose donc une
interrogation
raisonnée, attentive et critique du texte quant à son
enjeu
philosophique: la puissance de notre libre-arbitre ses obstacles que
sont
les passions et le moyens que nous devons nous donner pour
l'accroître,
car il ne suffit pas de les avoir, encore faut-il le savoir et
décider
d'en faire usage.
Etude ordonnée du texte
1) Etude globale :
De « mais à faibles », Le texte est composé selon une forme linéaire et analytique ; Après avoir exposé un principe général sans argumentation centrale, ni discussion, ni renversement dialectique de position (De «mais… à faibles »), l’auteur en décline exhaustivement les diverses modalités particulières selon « tous » les cas ou circonstances possibles (d’après lui ) (De « Et lorsque…à délibérer); ce qui, ici, lui semble suffisant pour valider le principe dans sa généralité ; chacune de ces modalités (ou modulations) est à expérimenter par chaque lecteur pour en évaluer la pertinence expérimentale pour lui-même car il s’agit d’un principe pratique dont le critère est l’efficacité technique (sa réussite en vue de la fin d’une action reconnue comme bonne du point de vue du sujet de l’action) et non pas d’un principe de connaissance qui relève du principe de vérité démonstrative, indépendamment de toute fin désirable et/ou souhaitable subjective, sinon de désir de vérité objective. (Le « vrai objectif » concerne ce qui est et le « bien subjectif (universel ou particulier) », ce qui n’est pas (encore) et doit être et ces valeurs (vrai/bien) ne relèvent pas du même désir et des mêmes critères d’appréciation). Cette déclinaison se déploie selon la croissance de la difficulté des cas : pour que le principe, dans sa généralité, soit valide, il convient en effet qu’il soit possible, y compris dans les cas où son application apparaît comme la plus difficile, voire à l’examen superficiel, impossible (c’est là que le texte présuppose une dialectique implicite, en répondant à des objections éventuelles non formulées qui invaliderait sur tel ou tel cas la généralité du principe). Elle se conclut par l’attitude de ceux qui ont l’habitude de la réflexion que sont par excellence les philosophes ; laquelle apparaît alors comme exemplaire dans cette entreprise de contrôle des passions car elle est celle qui va jusqu’au bout de la maîtrise de soi qu’est la sagesse et dès lors que chacun, parce que raisonnable (« le bon sens ou raison est, en effet, la chose du monde la mieux partagée » pour notre auteur) donc la montre comme possible (de Mais… à la fin). Quel est ce principe et quelles en sont les modalités d’usage? Le principe est celui du doute méthodique, voire systématique sinon sceptique sur les croyances qui accompagnent nos passions, qui les stimulent et les excitent : le passionné adhère à sa passion au point de croire à priori son objet bon et réalisable car les raisons en sa faveur lui semble nécessairement fortes et celles qui l’en détourneraient faibles. D’où la question : en quoi pouvons-nous affaiblir nos passions par l’usage « du souvenir » volontairement invoqué de leur propension à nous tromper ? En quoi la volonté de douter peut-elle s’opposer à la quasi-certitude précipitée que la passion génère afin de nous détourner de celle-ci et/ou d’en limiter les effets nuisibles (illusoires)? Descartes va moduler l’étude de ces questions selon trois cas : le premier, le plus aisé, met en jeu la durée reconnue par le sujet, entre la passion et sa satisfaction afin de suspendre le jugement d’action; le second traite des situations où la passion (et le sujet) croit et/ou doit pouvoir se satisfaire instantanément et donc exige une décision immédiate d’action. Le dernier, le plus significatif du point de vue du principe du doute, concernent le cas de l’homme de réflexion, en tant qu’il est le plus capable de jouer ses passions les une contre les autres « à volonté » et avec lucidité car il s’est habitué, par le doute, à se mettre à distance de sa subjectivité trompeuse ; ce qui en fait un modèle de sagesse pour tout homme, « raisonnable » et donc critique par définition. D’où la question : en quoi la réflexion philosophique est-elle une arme pour bien-vivre ses passions ?
2) Etude conceptuelle.
2-1 Passion et doute
« Mais ce qu'on peut toujours
faire
en telle occasion, et que je pense pouvoir mettre ici comme le
remède
le plus général et le plus aisé à pratiquer
contre tous les excès des passions, c'est que lorsqu'on se sent
le sang ainsi ému, on doit être averti et se souvenir que
tout ce qui se présente à l'imagination tend à
tromper
l'âme et à lui faire paraître les raisons qui
servent
à persuader l'objet de sa passion beaucoup plus fortes qu'elles
ne sont, et celles qui servent à la dissuader beaucoup plus
faibles.
»
Explication :Le fait de douter
de la valeur des passions et de leur objet (objectif) est donc ici
affirmé
comme un principe général pour qui veut s’en assurer le
contrôle
afin de réussir dans ses actions : pour Descartes en effet, la
passion
est l’effet du corps sur l’âme et tend à soumettre
celle-ci
au corps pour mettre hors jeu la volonté libre (le
libre-arbitre)
au profit d’une dépendance qui produit nécessairement
l’échec
de nos actions et l’insatisfaction (ou déception) ; elle
génère
la précipitation qui nous empêche de reconnaître
d’une
manière claire et distingue le vrai du faux, le bien du mal qui
relève de la raison universelle innée dont les
énoncés
de base sont nécessairement cohérents et
réalistes.
Plus précisément, pour Descartes, la passion est
l’effet
d’une force, d’une pression, mécanique aveugle
spontanée
du corps sur l’âme, et en cela nous fait juger vraies ou bonnes
des
idées qui ne sont ni claires, ni distinctes (elles sont pas ou
mal
définies et donc confuses quant à leur objet) au yeux de
la raison comme faculté d’éviter les contradictions entre
nos idées et entre nos idées et leur objet réel et
donc qui seule peut nous permettre de distinguer clairement le
réel
(ou le réalisable) de l’imaginaire afin d’éviter
l’illusion
toujours décevante. C’est dire qu’il convient de combattre cette
force mécanique en lui opposant le désir de
vérité
résultant du souvenir de nos déceptions
antérieures,
qui nous rappellent la nature trompeuse des passions que nous avons
(mal)vécues.
On voit donc que le désir de vérité ne tombe pas
du
ciel : il accompagne le sentiment de nos échecs et de notre
impuissance
passés dus à nos erreurs passées ; en ce sens il
est
aussi passionnel mais il agit dans le sens du doute, de la
méfiance
vis-à-vis de l’illusion (prendre une erreur pour une
vérité
ou une fiction pour une réalité) qui accompagne la
précipitation
des passions actuelles. Or pour Descartes, il y a deux manières
de douter : l’une sceptique qui subit l’erreur mais croit y
échapper
en prétendant qu’aucune vérité n’est possible ou
qui
refuse d’agir en prétendant que toute action est illusoire et
décevante
et donc qui nous installe dans l’impuissance radicale et l’autre qui
utilise
le doute en vue de nous assurer de la vérité sur des
bases
démonstratives objectives logiques et/ou expérimentales
suffisantes
pour combattre la déformation unilatérale induite par la
passion qui consiste à nous faire toujours voir la valeur de son
objectif sous un jour favorable et refuser toute critique de ses
faiblesses
(idées obscures et confuses, impossibilité de ses
objectifs,
désavantages de ses conséquences et déceptions
éventuelles
etc..). Ainsi pour Descartes nous disposons du désir de
vérité
et du moyen de la reconnaître, la raison, comme on le voit en
mathématiques,
et c’est pourquoi le doute peut agir contre la passion : il est la
force
même de la vérité, expression de la volonté
libre de l’âme qui cherche le bien-vivre durable et
conséquent,
en récusant l’illusion et la souffrance qu’elle provoque
à
terme. La volonté raisonnable est une puissance spirituelle qui
peut canaliser et orienter la puissance mécanique du corps,
à
son profit et selon ses décisions propres, soumise à
l’exigence
critique du doute en vue de la vérité bonne : celle qui
accroît
notre puissance d’agir sur le monde et nous-même afin de «
nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »
mécanique
(qui, en elle-même, n’obéit qu’au déterminisme
aveugle
des causes et des effets selon des lois quantitative
mathématiques
et/ou mathématisables constantes) et, de notre corps-machine,
qui
indépendamment de l’action de notre âme sur lui en fait
intégralement
partie.
2-2 Passion et temporalité
« Et lorsque la passion ne
persuade
que des choses dont l'exécution souffre quelque délai, il
faut s'abstenir d'en porter sur l'heure aucun jugement, et se divertir
par d'autres pensées jusqu'à ce que le temps et le repos
aient entièrement apaisé l'émotion qui est dans le
sang. Et enfin, lorsqu'elle incite à des actions touchant
lesquelles
il est nécessaire qu'on prenne résolution sur-le-champ,
il
faut que la volonté se porte principalement à
considérer
et à suivre les raisons qui sont contraires à celles que
la passion représente, encore qu'elles paraissent moins fortes:
comme lorsqu'on est inopinément attaqué par quelque
ennemi,
l'occasion ne permet pas qu'on emploie aucun temps à
délibérer.
»
Explication : Deux situations
doivent
être distinguées quant au pouvoir de l’âme sur le
corps
: celle où ce pouvoir bénéficie de temps pour
s’exercer
et celle, au contraire, où elle doit s’exercer sur le champs ;
elles
n’engagent pas la puissance de l’âme de la même
manière
. Dans le premier cas la décision peut être
différée
sans risque immédiat pour le sujet (sa vie ou son honneur), dans
le second, toute mise en attente est mortelle ou humiliante et l’action
doit être immédiate pour éviter
l’anéantissement
physique et/ou moral.
Il suffit, dans le cas où l’attente est possible sans dommage,
c’est à dire lorsque la situation objective le permet (ce qui
exige
une juste appréciation de l’inscription temporelle réelle
de notre action et de son enjeu) , de réduire l’effet de
précipitation
que produit la pression du corps sur l’âme pour attendre qu’il se
calme de lui-même : le corps, en effet, pour Descartes est
travaillé
par des forces mécaniques rythmiques et de mouvements cycliques
(ex : veille/sommeil, effort/fatigue; désir/détente,
voire
jeunesse/vieillesse, mort/vie). Les passions qui ne sont que les effets
mécaniques du corps sur l’âme s’apaisent donc d’elles
mêmes
dans le temps ; il est donc relativement facile pour l’âme de
résister
à la pression du corps sans conséquences nuisibles ; il
lui
suffit de refuser d’accorder au corps ce qu’il demande, agir dans
l’instant,
en se (le) distrayant ; c’est à dire en le détournant de
ses objectifs, en se les représentant comme douteux ou mieux en
refusant de leur accorder la valeur subjective et fausse que la passion
(par elle-même instantanée) provoque par sa pression. Il
suffit
alors de suspendre son jugement, c’est à dire à pratiquer
le doute volontaire dont l’âme est toujours capable car elle est
essentiellement puissance de jugement et de vérité et,
par
là, volonté raisonnée et raisonnable. Opposer la
volonté
de douter à l’illusion passionnelle est une affaire
intérieure
à l’âme qui concerne deux facultés, la raison et la
sensibilité, qui ne peuvent agir que par l’effet des
représentations
(idées) des choses et non par le seul effet de forces
mécaniques
pures et aveugles (non-conscientes) des choses et des forces
corporelles,
car rien dans l’âme, toujours conscientes de toutes ses
idées
(toute « re »présentation est réflexion et
est
par définition consciente, car elle exige l’action de
l’âme
pour se présenter à elle) ne peut échapper au
pouvoir
de l’âme et en ce qui concerne la vérité, qui est
représentation
consciente par excellence, ce pouvoir est absolu. Faire jouer le
pouvoir
de juger en quoi consiste la raison comme pouvoir absolu de distinguer
le vrai du faux suffit à différer la
représentation
de l’urgence apparente et fallacieuse que provoque la passion ; et
à
attendre qu’elle se calme d’elle-même par épuisement de sa
ressource énergétique corporelle.
Il n’en est pas de même en ce qui concerne les actions qui ne
souffre aucun délai et dans laquelle la décision d’agir
doit
être immédiate pour éviter une catastrophe physique
et/ou morale. La mise en attente et la suspension du jugement
qu’est
le doute volontaire est, alors ,une cause d’échec assuré.
Quand il faut alors agir dans l’instant sans savoir ce qui est vrai et
faux , il peut sembler que cette action instantanée semble
entièrement
soumise à la précipitation qui est le propre des passions
(actions corporelles) aveugles dans l’âme. Or Descartes assure,
au
contraire, que l’âme conserve un pouvoir indirect : celui
d’opposer
à une passion une contre passion qu’elle peut
réveiller
volontairement dans l’âme en mettant en œuvre son imagination
rationnelle
et sa mémoire afin de prévoir les
conséquences
de nos actions et les avantages et les dangers qu’elles sont
susceptibles
d’entraîner. Cette capacité de l’âme se « re
»présenter
volontairement les passions contraires grâce à
l’imagination
et à la mémoire, permet donc à l’âme de
tempérer
le besoin d’agir aveuglément (sans réflexion) qu’engendre
la passion présente et de nous y opposer efficacement (sans la
supprimer
tout à fait). Calculer les risques et utiliser la peur des
conséquences
négatives futures imaginées (projetées) pour
compenser
le plaisir qui n’est que la décharge d’une tension
corporelle
actuelle que procure l’action immédiate selon la passion
présente
est toujours possible à qui veut agir très vite avec un
discernement
minimal pour éviter les réactions les plus violentes et
les
plus dangereuses pour les autres et pour soi. Là, la
volonté
raisonnable ne peut agir qu’en jouant sur l’inscription
représentée
et rationalisée dans le temps de l’action et de ses effets sur
le
complexe de nos passions contraires et en opposant les
passions
futures et/ou passées au présent de la passion
immédiate.
Nous sommes libres vis-à-vis de nos passion dans la mesure nous
sommes capables de choisir entre elles, dès lors qu’elles
sont
contraires et que nous pouvons jouer sur leur
contrariété
pour les ordonner selon des représentations plus raisonnables ;
c’est à dire plus cohérentes au regard de nos actions en
vue du bien-vivre qui, lui même, est partagé entre deux
désirs
, parfois contraires : survivre aux dangers en fuyant le
risque
de la mort et/ou vivre dans l’honneur ou la satisfaction de
prendre
ce risque pour s’affirmer comme valeur supérieure à la
vie
biologique et corporelle ; c’est à dire comme volonté et
âme dont le but spécifique est d’affirmer sa puissance
spirituelle
propre comme supérieure à celle du corps.
2-3 Passion et volonté : le rôle de la philosophie
« Mais ce qu'il me semble que ceux
qui sont accoutumés à faire réflexion sur leurs
actions
peuvent toujours, c'est que, lorsqu'ils se sentiront saisis de la peur,
ils tâcheront à détourner leur pensée de la
considération du danger, en se représentant les raisons
pour
lesquelles il y a beaucoup plus de sûreté et plus
d'honneur
en la résistance qu'en la fuite; et au contraire, lorsqu'ils
sentiront
que le désir de vengeance et la colère les incitent
à
courir inconsidérément vers ceux qui les attaquent, ils
se
souviendront de penser que c'est imprudence de se perdre quand on peut
sans déshonneur se sauver, et que si la partie est fort
inégale,
il vaut mieux faire une honnête retraite ou prendre quartier que
s'exposer brutalement à une mort certaine. »
Explication : « Ceux qui
sont accoutumés à faire réflexion » sont par
excellence les philosophes dès lors qu’ils ne se contentent pas
de suivre les autres mais qu’ils s’efforcent de penser les
fondements
de leurs représentations quant à leur
vérité
et/ou justesse et qu’il peuvent par eux-mêmes choisir l’attitude
qui convient au bien-vivre dans telle ou telle situation, sachant qu’il
ont toujours au moins deux attitudes possibles devant des dangers et
les
situations d’urgence qu’elles engendrent : les fuir pour sauver sa peau
ou les affronter au risque de mourir. Entre la lâcheté ou
la mort, l’honneur ou la vie, le philosophe est préparé
par
sa réflexion antérieure à faire un choix conscient
et délibéré dans chaque situation nouvelle qui
exige
une décision immédiate. Or être philosophe, c’est
se
préparer à l’avance au compromis entre des exigence
contraires
comme ultime règle de prudence et celle-ci doit toujours tenter
de concilier les contraires : la vie et l’honneur, la vie dans
l’honneur
; ce qui veut dire que le choix de mourir n’est pas philosophique
; car contraire à notre nature corporelle : l’âme doit
aussi
respecter le corps, car elle ne peut s’affirmer comme valeur positive
que
dans l’accroissement de notre puissance de vie, qui est
indissociablement
corporelle et spirituelle. Le pouvoir de l’âme est un pouvoir de
vie et non de choix entre la vie et la mort : le bien-vivre implique
que
l’on réconcilie l’honneur (valeur spirituelle ) et la vie
(valeur
biologique) d’autant que nul ne peut vivre courageusement en fuyant
dans
le mort, illusoirement glorieuse, de celui qui veut en finir avec les
contradictions
de la vie en recherchant la mort pour sauver son prétendu, mais
stérile et impuissant honneur.
Or, en cela le philosophe l’emporte sur tous les autres : sa
réflexion
est interrogation sur soi et ses passions pour en faire le meilleur
usage
et le vrai philosophe n’est pas celui qui sacrifierait les une aux
autres
mais qui saurait, par des choix positifs, les réguler en les
équilibrant.
Philosopher c’est déterminer en chaque situation ce qui convient
au mieux, c’est à dire au moins mal, à la vie.
Conclusion :
Etre philosophe c’est prendre conscience de ce que sont nos passions et désirs et de ce qui les conditionne et justifie afin de nous libérer de l’impuissance qui conduit de la perte de soi. Si chacun est libre en puissance, il ne peut l’être en acte que par la connaissance rationnelle et critique (philosophique) de son corps et de ses passions pour mieux-vivre c’est à dire vivre une vie moins conflictuelle. Qu’il faille distinguer l’âme du corps pour définir l’homme , ne signifie pas qu’il faille les opposer mais que leur relations substantielle doit être de respect mutuel sous le contrôle de l’âme qui se connaît et se reconnaît dans son pouvoir régulateur sur le corps et elle-même en vue du plus grand bonheur possible (contentement de soi) en cette vie. En cela, contre toute position sacrificielle, le texte de Descartes nous rappelle que la vie bonne, c’est à dire philosophique, est accomplissement de soi par l’accroissement de sa puissance de pensée et d’agir.