Aristote et la justice
Hume
et la connaissance (cliquez)
Aristote et la justice
Puisque l'injuste ne respecte pas l'égalité et que 1injuste se confond avec l'inégalité, il est évident qu'il y a une juste mesure relativement à l'inégalité. Cette juste moyenne, c'est l'égalité. Dans les actes qui comportent le plus et le moins, il y a place pour une juste moyenne. Si donc l'injuste, c'est l'inégal, le juste est l'égal. Pas besoin de raisonnement pour que tous s'en aperçoivent.
Or, puisque l'égal consiste dans une juste moyenne, il pourra en être ainsi du juste. L’égal suppose au moins deux termes. Il faut donc que le juste, qui est à la fois moyenne et égalité, ait rapport à la fois à un objet et à plusieurs personnes. Dans la mesure où il est juste moyenne, il suppose quelques termes : le plus et le moins, dans la mesure où il est égalité : deux personnes; dans la mesure où il est juste : des personnes d'un certain genre. Nécessairement, le juste implique au moins quatre éléments. Pour qu'il se réalise, il faut deux personnes et deux objets par rapport auxquels il existe. Il en sera de même de l'égalité, si l'on examine les personnes et les choses. Le rapport qui existe entre les objets se retrouvera entre les personnes. Si les personnes ne sont pas égales, elles n'obtiendront pas l'égalité dans la façon dont elles seront traitées.
De là viennent les disputes et les contestations, quand des personnes sur le pied d'égalité n'obtiennent pas des parts égales, ou quand des personnes, sur le pied d'inégalité, ont et obtiennent un traitement égal. Ajoutons que la chose est claire si l'on envisage l'ordre de mérite des parties prenantes. En ce qui concerne les partages, tout le monde est d'accord qu'ils doivent se faire selon le mérite de chacun; toutefois, on ne s'accorde pas communément sur la nature de ce mérite, les démocrates le plaçant dans la liberté, les oligarques dans la richesse ou la naissance, les aristocrates dans la vertu.
L’idée de justice, qu’il ne faut pas confondre avec
l’institution
du même nom, est la valeur fondamentale de la régulation
des
échanges et des rapports entre les citoyens dans la cité
: la justice est la norme qui rend possible la mise en oeuvre de
règles
qui garantissent l’ordre public dans le respect du bien commun et des
droits
de chacun. Mais du même coup sa définition est
délicate,
car ces trois objectifs ne sont pas nécessairement, ni
facilement,
compatibles : l’ordre public suppose une inégalité de
pouvoir,
l’inégalité entre les dirigeants et les dirigés,
qui
l’instaure et le garantisse en le faisant respecter au besoin par la
force;
le bien commun suppose que les intérêts de tous soient
également
respectés par des lois universelles de réciprocité
et de solidarité selon la règle de
l’égalité.
On voit donc que l’idée de justice est tiraillée entre
deux
exigences qui peuvent apparaître contradictoires :
· Celle d’établir l’égalité des droits
et des avantages, au nom de sa dimension universelle ; une justice
discriminatoire
serait contraire à sa visée : la mise en oeuvre du bien
commun
;
· Celle qui oblige à distinguer dans la distribution
des biens et des honneurs entre ceux qui concourent plus ou moins
à
cette mise en œuvre (par exemple entre les dirigeants et les
dirigés)
et les mérites respectifs des uns et des autres au regard de
l’intérêt
général.
Comment comprendre le rapport complexe entre ses deux dimensions de
la justice, L’égalité et la hiérarchie, pour
qu’elle
ne se contredisent pas, et qu’elle concourent l’une à l’autre et
l’une avec l’autre au bien commun et à l’intérêt
général
ou mutuel de chacun ? C’est ce problème dont traite le texte
d’Aristote
qui nous est proposé et la position de l’auteur est claire : la
hiérarchie doit être subordonnée à
l’exigence
d’égalité qui est l’essence même de l’idée
de
justice. Le problème de la hiérarchie, de sa nature, et
de
son appréciation reste, dans cet extrait, ouvert, ce qui, non
seulement
nous ne nous interdit pas de le poser, mais nous obligera et nous
permettra
de le formuler pour mieux y répondre, en tenant compte des
indications
de l’auteur, qu’il nous faudra comprendre par une étude
ordonnée
des concepts et de l’argumentation mis en œuvre dans son texte.
1) Analyse du texte
1-1 Analyse globale
1-1-1 Enchaînement des idées
La structure du texte frappe par sa clarté et sa rigueur logique
: sa forme est celle d’un syllogisme dans lequel chacune des 3
propositions
est expliquée et argumentée et dont chacune des trois est
introduite par les connecteurs réglementaires : or et de
là
(donc). On peut résumer l’enchaînement des idées de
la manière suivante : dans la première partie
(jusqu’à
: « aperçoivent »),
Aristote pose une évidence, c’est à dire une principe
universel (proposition première) qui s’impose à l’esprit
sans démonstration : le juste c’est l’égal ; dans la
seconde
(jusqu’à : « seront traitées ») introduite
par
: « or », l’auteur explicite la nécessité de
proportionner l’égalité des biens et des honneurs
(«
les objets ») en fonction de l’inégalité des
personnes
; entre deux personnes égales les objets devront être
égaux,
entre deux personnes inégales ils devrons être
inégaux
; mais les rapports entre les deux personnes et les objets qu’il
reçoivent
devront rester égaux. De ces deux prémisses il tire une
conclusion
en forme de nouveau problème: cette inégalité
et/ou
cette égalité des personnes est problématique
(«
sujette à dispute ») car les critères
d’appréciation
sont variables : ils dépendent des régimes
politiques
et des partis qui s’en réclament ; la question de la
définition
du mérite pour apprécier et hiérarchiser la valeur
respective de chacun par rapport aux autres reste donc ouverte au
débat
de philosophie ou de conception de la vie politique.
1-1-2 Questions au texte
· En quoi (et non pas pourquoi car c’est un principe) juste
et égal sont-ils deux termes synonymes et que veut dire
égal
?
· Comment l’égalité doit elle se composer avec
l’inégalité des personnes ?
· Pourquoi cette question de la justice distributive qui
récompense
les mérites et punit les démérites en respectant
l’égalité
des proportions est-elle sujette à dispute ? Qu’en est-il du
débat
politique sur le mérite ?
1-2 Analyse conceptuelle
1-2-1 Le juste c’est l’égal
« Puisque l'injuste ne respecte pas l'égalité et que l’injuste se confond avec l’inégalité, il est évident qu'il y a une juste mesure relativement à l'inégalité. Cette juste moyenne, c'est l'égalité. Dans les actes qui comportent le plus et le moins, il y a place pour une juste moyenne. Si donc l'injuste, c'est l'inégal, le juste est l'égal. Pas besoin de raisonnement pour que tous s'en aperçoivent. »
Explication
: Avant d’en arriver à la définition du juste,
significativement, Aristote commence par une constatation sur l’injuste
: l’injuste ne respecte pas l’égalité. Pourquoi ? Parce
qu’on
semble connaître l’injustice avant de connaître la justice
; pour chacun qui la subit, en effet, l’expérience de
l’injustice
est douloureuse et que seule la douleur peut faire
réfléchir
et faire prendre conscience d’une règle ou de la règle
pour
l’éviter : on ne réfléchit pas, et on en a pas
besoin,
si l’on ne vit pas dans la souffrance une contradiction; par exemple
celui
qui est content des conditions privilégiées dont il
bénéficie
ne se posera pas la question de la justice, ou celui qui
bénéficie
d’une injustice croira à tort qu’il est justement
récompensé
de ses efforts. Aristote part donc de l’expérience de l’injuste
pour aller à l’essence (la définition la plus
générale)
du juste, adoptant la démarche empirique la plus naturelle
(expérience
empirique sensible négative => idée régulatrice
positive).
La règle dont la victime de l’injuste fait négativement
l’expérience
lorsqu’elle est violée est celle de l’égalité ; or
celle-ci ne va pas de soi dans le cadre, par exemple, des
échanges
ou transactions réciproques marchands de bien et de service, car
il s’agit de définir le juste prix, c’est à dire
l’égalité
entre la valeur marchande du produit et ce que recevra le vendeur sous
forme d’équivalent monétaire, dans l’intérêt
mutuel et égalitaire des deux, de façon que nul ne soit
spolié
par l’autre. Mais comment faire ? Il s’agit de déterminer la
juste
moyenne, un moyen terme, entre le trop (la marchandise est trop
chère
et l’acheteur est injustement traité) et le trop peu (la
marchandise
est trop bon marché et le vendeur est injustement volé) ;
or cette juste moyenne est problématique car dans une
transaction
commerciale on n’échange pas des objets identiques et/ou de
valeur
d’usage identique (blé contre blé, laine contre laine
etc..),
mais des marchandises contre de l’argent et l’on ne peut être
assuré
de l’équivalence des valeurs d’échanges exprimées
en terme monétaire (la monnaie est l’équivalent
général
de toute valeur d’échange). La juste moyenne est le prix moyen
pratiqué
sur un marché librement concurrentiel, dans l’équilibre
général
de l’offre et de la demande . Ce qui suppose deux conditions : que cet
équilibre soit réalisé et que chacun des
partenaire
de l’échange soit informé des prix moyens
d’équilibre
pratiqués sur le marché global. Aristote peut conclure en
faisant usage du principe logique de non contradiction et de tiers
exclu,
lequel est évident par lui-même : si l’injuste est
l’inégal,
alors le juste est l’égal ; il ne peut y avoir de
troisième
possibilité entre l’inégalité de l’injuste et
l’égalité
du juste car l’inégalité est une propriété
essentielle de l’injuste, donc l’égalité est la
définition
du juste. Ils s’agit d’un principe universel. Mais comment faire usage
de ce principe lorsque les hommes sont inégaux entre eux ?
1-2-2 Comment l’égalité doit elle se composer avec l’inégalité des personnes ?
« Or, puisque l'égal consiste dans une juste moyenne, il pourra en être ainsi du juste. L’égal suppose au moins deux termes. Il faut donc que le juste, qui est à la fois moyenne et égalité, ait rapport à la fois à un objet et à plusieurs personnes. Dans la mesure où il est juste moyenne, il suppose quelques termes : le plus et le moins, dans la mesure où il est égalité : deux personnes; dans la mesure où il est juste : des personnes d'un certain genre. Nécessairement, le juste implique au moins quatre éléments. Pour qu'il se réalise, il faut deux personnes et deux objets par rapport auxquels il existe. Il en sera de même de l'égalité, si l'on examine les personnes et les choses. Le rapport qui existe entre les objets se retrouvera entre les personnes. Si les personnes ne sont pas égales, elles n'obtiendront pas l'égalité dans la façon dont elles seront traitées. »
Explication : Aristote ici tente de préciser les données du problème en définissant les termes de l’échanges réciproque égalitaire. La moyenne qui définit l’égalité de l’échange juste (par exemple le prix moyen ou juste prix) se situe entre les deux extrêmes que sont l’excès et le défaut. Il convient de dire que la relation réciproque égalitaire (juste) met en rapport au moins deux personnes avec une valeur (objet) équivalente qui doit s’exprimer par l’équivalence entre deux objets : la marchandise et son prix. Donc la relation implique deux objets de valeurs équivalentes située dans la juste moyenne entre le plus (trop) et le moins (pas assez) et deux personnes qui échangent ces valeurs équivalentes. Mais ces deux personnes doivent être considérées comme équivalentes (de même valeur), ce qui est le cas dans une transaction commerciale : le vendeur ne bénéficie d’aucune supériorité (en mérite ou autre) sur l’acheteur : ils sont de même genre ; du reste un vendeur peut être aussi acheteur et vice versa. Mais lorsque les personnes ne sont pas de même genre, l’une étant supérieure à l’autre (maître/esclave, homme/femme, dirigeant/dirigé, intelligent/inintelligent, courageux/lâche ; serviable/égoïste etc..) alors l’égalité ne doit plus être absolue mais proportionnelle à la valeur de chacun, en rapport à son genre. Il faudra substituer à une égalité d’objets, une égalité entre le rapport de la valeur des personnes et le rapport de la valeur des objets qu’elles reçoivent (Aristote parle de justice commutative, ou égalité absolue, dans le cas d’une égalité absolue entre deux biens attribués à deux personnes égales comme dans la transaction commerciale et de justice distributive, ou égalité proportionnelle, dans le cas d’une attribution proportionnelle tenant compte de l’inégalité des personnes): soit des personnes A et B et des objets A’ et B’, la relation égalitaire (juste) devra être la suivante : A/B = A’/B’ et si A = 2B, alors A doit recevoir le double de B, ce qui en nombre absolu est non équivalent mais l’est en proportion. Ici l’inégalité est juste car elle reste soumise au principe de l’égalité ici proportionnelle et non pas absolue entre des personnes inégales, mais encore faut-il s’entendre sur l’inégalité entre les personnes et les genres auxquels elles appartiennent, ce qui fait l’objet de la dernière question portant sur la fin du texte
1-2-3 Pourquoi cette question de la justice distributive qui récompense les mérites et puni les démérites en respectant l’égalité des proportions est-elle sujette à dispute ? Qu’en est-il du débat politique sur le mérite ?
« De là viennent les
disputes et les contestations, quand des personnes sur le pied
d'égalité
n'obtiennent pas des parts égales, ou quand des personnes, sur
le
pied d'inégalité, ont et obtiennent un traitement
égal.
Ajoutons que la chose est claire si l'on envisage l'ordre de
mérite
des parties prenantes. En ce qui concerne les partages, tout le monde
est
d'accord qu'ils doivent se faire selon le mérite de chacun;
toutefois,
on ne s'accorde pas communément sur la nature de ce
mérite,
les démocrates le plaçant dans la liberté, les
oligarques
dans la richesse ou la naissance, les aristocrates dans la vertu.
»
Explication : Les disputes sur la justice d’une distribution
entre des personnes naissent de deux causes possibles :
· Une erreur d’appréciation sur le mérite
comparé
des personnes concernées par la distribution des biens et des
honneurs
malgré l’accord sur une définition univoque du
mérite
Il suffit pour la corriger d’examiner plus attentivement en quoi il
sont
également ou inégalement méritants sur des
critères
précis qui ressortent de la définition concordante du
mérite.
· Un désaccord idéologique et politique sur la
définition même du mérite.
·
Cette dernière cause de dispute est plus grave que la
précédente
car elle oppose des conceptions contradictoires entre des valeurs et
des
visées politiques inconciliables. Les démocrates
récusent
l’inégalité politique originaire entre les hommes au nom
de l’égalité des droits et donc des libertés
universelles
: ils n’acceptent que l’inégalité des parcours et des
mérites
personnels sur fond de compétition égalitaire toujours
ouverte
(égalité des chances : n’importe qui peut l’emporter
à
tout moment) ; est méritant celui qui affirme sa liberté
et son initiative pour l’emporter dans la compétition sociale
qu’elle
que soit son origine ; pour eux la société doit
promouvoir
une totale mobilité sociale. Les oligarques considèrent
que
la richesse et/ou la naissance sont des mérites collectifs de
classe
par définition inégales qui doivent s’imposer pour que
l’ordre
social soit garanti et stable, chacun sachant ce qu’il est, ce qu’il
vaut
et ce qui lui revient sur un critère objectif indiscutable.
Enfin
les aristocrates font de la vertu , c’est à dire du courage et
de
la sagesse acquise par l’éducation politique en vue de diriger
la
cité, reçue dans leur famille et de leur milieu social
culturellement
privilégié, l’essence du mérite, car seuls les
aristocrates
peuvent diriger les affaires publiques avec sang-froid et raison, au
contraire
de la foule des ignorants ou des riches qui ne pensent qu’à
accroître
leur fortune aux dépens des autres citoyens.
Ainsi notre texte se conclut sur un débat fondamental et une
aporie apparente : Il n’y a pas de justice en soi, car l’idée de
justice est relative à des positions politiques de fond ; le
problème
est alors de savoir si l’on peut rationnellement choisir ou
établir
un compromis entre des philosophies de la vie politique apparemment
contradictoires.
2) Intérêt philosophique
2-1 L’enjeu de la position de l’auteur
Pour les partisans de l’ordre public traditionnel, l’idée de
justice doit refléter les inégalités sociales, car
toute société ne peut se reproduire d’une manière
stable que si chacun sait dès l’origine quel est son statut et
ce
qu’il peut attendre des autres ; d’autre part il ne peut y avoir
d’ordre
cohérent que si certains sont reconnus comme disposant de plus
ou
moins de pouvoir sur les autres de part leur qualités
supérieures
objectives et incontestables : nul doute que les classes
supérieures
le sont par le mérite originaire et transmissible de père
en fils, sinon elle aurait échoué dans leur fonction de
pouvoir
et aurait compromis l’existence même de la société
qu’elles dirigent : le temps a fait la preuve de la valeur de leur
famille
(argent, pouvoir, considération etc..) : la hiérarchie ne
peut se perpétuer que parce qu’elle reflète des
inégalités
naturelles de valeur qu’il convient de préserver, pour garantir
la paix civile et l’ordre public, confondu avec l’ordre social
inégalitaire.
Le droit juste donc impose que l’on fonde la distribution des biens sur
le strict respect de la hiérarchie sociale et naturelle entre
les
hommes.
Or Aristote fait de l’égalité, et non pas de
l’inégalité
sociale existante, l’essence de la justice, il prend soin, en outre, de
poser la question à partir de l’expérience douloureuse de
l’injustice et s’il admet que la question du mérite se pose, il
ouvre le débat là où les traditionaliste
prétendent
le fermer : le mérite ne doit pas nous faire oublier le principe
fondamental que si l’on veut éviter la dispute autour de la
justice
qui est la source d’une guerre civile latente ou ouverte permanente, il
convient de s’entendre au préalable sur la question du
mérite
et récuser la situation inégalitaire existante comme
forcément
juste dès lors que les inégalités sociales ne sont
pas le seul critère possible pour mesurer les mérites
respectifs
et comparatifs des uns et des autres. Si l’on admet la liberté
comme
une valeur universelle des hommes, toute classe sociale ou genre
confondus,
car elle définit, non un statut ou un bien particuliers mais
l’essence
de l’homme et si l’on pense que la justice a à voir avec le bien
commun et l’intérêt général, alors la
conclusion
que ne tire pas Aristote, mais que sa présentation du
problème
suscite, est que la démocratie est le plus juste, ou en tout cas
le moins injuste des régimes politiques car elle fait de la
seule
valeur universelle, la liberté et le même droit pour tous,
le fondement de la vie politique. Est-ce à dire que le texte
n’ait
pas des limites ?
2-2 Les limites du texte.
Il est clair qu’ici Aristote affirme le principe de
l’égalité
comme fondement de l’idée de justice comme indémontrable
tout en acceptant que l’inégalité entre les hommes existe
sans préciser son origine : sociale, naturelle, voire divine ;
ni
si cette égalité de principe et les
inégalités
réelles sont raisonnables et en quoi. Or ce principe de
l’égalité
ne va pas de soi, et il n’est pas pour tous évident : il suffit
d’affirmer que les individus étant nécessairement
différents
dans leurs capacités, leur talents ou leur vertus,
l’égalité
ne peut pas exister et qu’il faut laisser jouer les rapport de force
pour
établir la seule justice possible : celle du droit du plus fort.
D’autre part en refusant ici de prendre position sur la question de
savoir
qui des oligarques, aristocrates et démocrates ont raison quant
à la définition du mérite, l’auteur laisse le
lecteur
dans le doute : la justice ne serait-elle qu’une valeur
particulière
et relative indéfiniment discutable ? Ce qui serait renoncer
à
participer au débat philosophique sur la nature du lien
politique.
Mais ces limites apparentes font aussi la force du texte : elles nous
obligent à prendre conscience des contradictions politiques qui
constituent l’essence de la justice pour tenter de prolonger la
réflexion
et de juger par nous-mêmes. À charge d’en actualiser la
problématique.
2-3 Actualisation du texte.
Nous constatons le développement d’une contradiction entre un droit international qui se réclame de l’égalité et de l’universalité des droits de l’homme et l’aggravation des inégalités économiques, sociales et culturelles dans le monde dont la justification ne peut plus, au regard des principes libéraux et démocratiques, être référée à la question des mérites naturels des uns et des autres. Le texte d’Aristote nous invite à considérer que cette contradiction ne peut pas être pensée et évoluer favorablement sans un débat de fond sur le rapport entre le droit et économie, entre l’économie et la politique pour penser la question des conditions de possibilités d’une justice universelle.
"Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de cause à effet. C'est au moyen de cette seule relation que nous d passons l'évidence de notre mémoire et de nos sens. Si vous demandiez il quelqu'un pourquoi il croit à la réalité d'un fait qu’il ne constate pas effectivement, par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il vous donnerait une raison; cette raison serait un autre fait : une lettre qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions antérieures et de ses promesses. Uni homme qui trouverait une montre ou machine autre ma chaire dans une île déserte conclurait qu’il y a eu précédemment des hommes sur cette île . Tous nos raisonnements sur les faits sont de même nature. On Y suppose constamment qu'il y a nue connexion entre le fait présent et ce qu'on en infère. S'il n'y avait rien pour les unir l'un à I’autre, l'inférence serait entièrement arbitraire. L'audition d'une voix articulée et d'une conversation raisonnable dans l'obscurité m’assure de la présence d'une personne : pourquoi ? Ce sont des effets de la constitution et de la structure de l'homme en étroite connexion avec elles. Si nous analysons tous les autres raisonnements de cette nature, nous trouverons qu'ils se fondent sur la relation de la cause à l'effet et que cette relation est proche ou éloignée, directe ou collatérale. La chaleur et la lumière 'sont des effets collatéraux du feu, et l'on peut à bon droit conclure l'un des effets de l'autre. Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet. J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admet pas d'exception, que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par es raisonnements a priori; mais qu elle naît entièrement de l'expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l'un avec l'autre. Qu'on présente un objet à un homme dont la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que possible; si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable, à examiner avec la plus grande précision ses qualités sensibles, de découvrir l'une de ses causes ou ]'un de ses effets. Adam, bien qu'on admette l'entière perfection de ses facultés rationnelles dès son tout premier moment, n'aurait pu inférer de la fluidité et de la transparence de l'eau que celle-ci le suffoquerait, ou de la lumière et de la chaleur du feu que celui-ci le consumerait. Nul objet ne découvre jamais, par les qualités qui paraissent aux sens, soit les causes qui les produisent, soit les effets qui en naissent; et notre raison ne peut, sans l'aide de l'expérience, jamais tirer une conclusion au sujet d'une existence réelle et d'un fait."
Introduction :
La philosophie de Hume s’affirme comme une philosophie critique du
rationalisme classique, particulièrement cartésien;
Descartes,
en effet, prétendait trouver dans la raison l’origine
première
de la vérité (accord de la pensée avec la
réalité
extérieure), dès lors que la valeur de la raison
était
elle-même fondée sur la certitude de l’existence de Dieu,
qu’il pensait avoir démontrée par une voie purement
rationnelle
; ceci dit Descartes ne niait pas la nécessité de
l’expérience,
mais pour lui elle servait principalement à orienter le
travail
déductif de la raison à partir des
vérités
mathématiques, évidences intellectuelles innées ,
qui seules pouvaient conférer à la connaissance un
caractère
de certitude; il admettait néanmoins que la raison puisse
s’égarer
par absence de méthode (précipitation) et que
l’expérience
soit nécessaire pour opérer un contrôle a
posteriori
du travail de la raison. Or la position de Hume est d’abord
l’expression
d’une critique de la prétention de la métaphysique de
servir
de fondement à la connaissance, via le raison
prétendument
innée et méthodiquement utilisée. C’est cette
position
et son argument principal qu’il énonce dans le texte qui nous
est
proposé. Cette critique du rationalisme ouvrira la porte
à
la philosophie moderne de la connaissance où il convient non
plus
de s’interroger sur le fondement a priori la vérité,
dès
lors que celle-ci est prouvé dans la science physique moderne a
posteriori par l’expérience rigoureuse et les techniques
très
efficaces qu’on peut en tirer (preuve empirico-pragmatique), mais celle
de savoir comment la pensée peut produire des connaissances et
des
lois générales a partir de l’expérience et
vérifiables
(ou réfutables) par elle. La philosophie moderne de la
connaissance
devient alors une épistémologie, c’est à dire une
étude rationnelle des modes de production des connaissances
scientifiques,
de leur critères et de leurs conditions générales
de possibilité (dans la pensée, mais aussi dans le
rapport
au monde des faits et/ou phénomènes expérimentaux
qu’elles impliquent).
Or cette conception pose à son tour un problème : celui
de savoir si l’expérience empirique suffit à produire des
énoncés rationnels et théoriques féconds,
c’est
à dire susceptibles d’établir des prévisions,
d’anticiper
sur le futur, ce qui est indispensable pour agir avec efficacité
: savoir c’est prévoir et prévoir est la condition du
succès
dès lors que l’on cherche à produire des
phénomènes
utiles. C’est par rapport à sa capacité de traiter ce
problème
que nous examinerons l’intérêt philosophique de la
position
de Hume en procédant à son étude ordonnée.
1) Analyse du texte
1-1 Analyse globale :
1-1-1 Hume s’attaque dans notre texte au problème le plus
difficile
pour lui : comment pouvons nous prévoir c’est à dire
dépasser
le connu (présent et passé) pour anticiper l’inconnu,
alors
même que nous ne disposons que de l’expérience pour cela :
ne sommes nous pas condamnés à ne connaître que ce
que les objets et les phénomènes qui ont
été
l’objet d’une expérience présente ou passé?
Pouvons
nous dépasser l’expérience ? Hume répond qu’on le
peut par la médiation d’une relation de cause à effet qui
est une relation qui, bien qu’issue de l’expérience, la
déborde.
Elle n’est pas une relation expérimentale puisqu’elle permet de
lier le connu à l’inconnu, le passé et le présent
au futur dont on a pas encore l’expérience ; si elle n’est pas
dans
l’expérience, elle est dans l’esprit et on l’expérimente
comme une relation non pas physique mais psychologique; or si elle y
est
non par la raison ou a priori comme le croyait Descartes, car on ne
peut
déduire logiquement (a priori) l’effet de la cause a priori ,
c’est
donc qu’elle est en rapport avec l’expérience sans se
réduire
à elle.
1-1-2 D’où 4 questions :
1) Qu’est ce que connaître ?
2) En quoi la relation de cause à
effet permet-elle de déborder l’expérience pour
faire
des prévisions ?
3) Comment la relation de cause à effet
est-elle possible?
4) En quoi n’est-elle pas une relation
rationnelle
? Quelle est sa nature ?
1-2 Analyse conceptuelle
1-2-1 Qu’est ce que connaître ?
« Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de cause à effet. C'est au moyen de cette seule relation que nous dépassons l'évidence de notre mémoire et de nos sens. Si vous demandiez à quelqu'un pourquoi il croit à la réalité d'un fait qu’il ne constate pas effectivement, par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il vous donnerait une raison; cette raison serait un autre fait : une lettre qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions antérieures et de ses promesses. Un homme qui trouverait une montre ou machine autre ma chaire dans une île déserte conclurait qu’il y a eu précédemment des hommes sur cette île . Tous nos raisonnements sur les faits sont de même nature. On y suppose constamment qu'il y a une connexion entre le fait présent et ce qu'on en infère. S'il n'y avait rien pour les unir l'un à l’autre, l'inférence serait entièrement arbitraire. L'audition d'une voix articulée et d'une conversation raisonnable dans l'obscurité m’assure de la présence d'une personne : pourquoi ? »
Explication: Hume commence par une constatation empirique: « Les raisonnements sur les faits » c’est à dire les enchaînements d’idées stables à propos des faits « paraissent se fonder sur la relation de cause à effet ». « Se fonder », signifie ici met en jeu une relation permanente qui structure de l’intérieur nos raisonnement empiriques sur les faits d’observation ; ceux-ci doivent être distingués des raisonnements formels logiques et mathématiques de type déductif qui portent sur des structures générales vides (abstraites). « Paraissent » signifie que cette relation relève d’une expérience : celle de la connaissance elle-même qui est une expérience psychologique de l’esprit et qu’il s’agit non d’une hypothèse mais d’un fait constaté source de la connaissance et précisément de la connaissance expérimentale de la connaissance ; il y a là, de la part de Hume, un refus de toute hypothèse métaphysique pour expliquer la connaissance ; il faut penser ce qui paraît : le phénomène de la connaissance et la relation de cause à effet que l’on peut constater et non sur de prétendues essences ou idées premières ; par opposition à Descartes il refuse en effet les idées innées ou évidences intellectuelles comme source de la connaissance portant sur des faits d’observation et d’expérience. Connaître pour Hume c’est être capable d’enchaîner ou d’associer automatiquement nos représentations : sensations, idées (copies plus abstraites de sensations) selon des relations régulières (et là générales) et chronologiques de cause à effet telles que, si on a une représentation d’un fait particulier à l’esprit (par exemple la cause qui précède dans le temps), on a celle d’un autre fait particulier (par exemple l’effet qui suit dans le temps), sans que cette dernière soit présente et vice versa. Ce qui pose la question suivante :
1-2-2 En quoi la relation de cause à
effet permet-elle de déborder l’expérience pour faire des
prévisions ?
« C'est au moyen de cette seule relation
que nous dépassons l'évidence de notre mémoire et
de nos sens. Si vous demandiez à quelqu'un pourquoi il croit
à
la réalité d'un fait qu’il ne constate pas effectivement,
par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il
vous donnerait une raison; cette raison serait un autre fait : une
lettre
qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions
antérieures
et de ses promesses. Un homme qui trouverait une montre ou machine
autre
ma chaire dans une île déserte conclurait qu’il y a eu
précédemment
des hommes sur cette île . Tous nos raisonnements sur les faits
sont
de même nature. On y suppose constamment qu'il y a une connexion
entre le fait présent et ce qu'on en infère. S'il
n'y
avait rien pour les unir l'un à l’autre, l'inférence
serait
entièrement arbitraire. L'audition d'une voix articulée
et
d'une conversation raisonnable dans l'obscurité m’assure de la
présence
d'une personne : pourquoi ? »
Explication : « Dépasser notre mémoire et nos sens » signifie être capable de nous représenter un fait futur dont nous n’avons aucun souvenir ou un fait antérieur dont nous n’avons pas fait l’expérience sensible ; la mémoire est la faculté qui permet de nous représenter des expériences sensibles du passé ; de voir des objets et des événements (complexes de sensations) absents dont nous avons faits l’expérience antérieurement. Suivent des exemples de l’expérience ordinaire qui vont de soi : ils illustrent et montrent concrètement à chacun (en cela ils ont valeur de preuves universelles) ce qu’il en est ; c’est à dire le sens sensible de l’idée abstraite qu’est le dépassement de l’expérience réelle que met en jeu la relation de cause à effet ; cette idée abstraite n’est que la copie généralisée de ces exemples et d’autres qui leur ressemblent. C’est la seule preuve possible de la validité d’un énoncé selon Hume : démonter dans l’ordre des énoncés empiriques, c’est montrer des exemples concrets, auxquels se réfère comme à son sens, l’idée générale-copie. Cette connexion entre un fait réel (expérimenté) et un autre que l’on imagine comme réel sans l’avoir expérimenté n’est pas un fait d’expérience puisqu’il met en jeu un fait d’expérience et un autre dont nous n’avons pas fait l’expérience ; mais pour autant cette connexion n’est pas arbitraire ; c’est à dire qu’elle ne relève pas de la fantaisie de l’esprit ou d’une quelconque volonté libre à laquelle Hume ne croit pas (elle ne correspond à aucune sensation concrète). Ni expérimentale, ni fantaisiste, alors d’où vient-elle ?
1-2-3 Comment la relation de cause à effet est-elle possible?
« Ce sont des effets de la constitution et de la structure de l'homme en étroite connexion avec elles. Si nous analysons tous les autres raisonnements de cette nature, nous trouverons qu'ils se fondent sur la relation de la cause à l'effet et que cette relation est proche ou éloignée, directe ou collatérale. La chaleur et la lumière sont des effets collatéraux du feu, et l'on peut à bon droit conclure l'un des effets de l'autre. Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet »
Explication : La relation entre une expérience réelle et une, non réelle, mais considérée comme telle est elle même l’effet d’une relation entre la constitution de l’homme (son imagination et les structures de son esprit qui associent automatiquement les idées entre elles) et ses représentations. Plus précisément, l’esprit associe automatiquement les sensations entres elles, réellement expérimentée à d’autres qui ne le sont pas (pas été ou pas encore), selon des relations de ressemblances, de contiguïté dans l’espace et dans le temps, ce qui donnent jour à la relation permanente de nos raisonnement de connaissance : la relation de cause à effet ; mais d’où vient cette automaticité, serait-elle de l’ordre de la nécessité logique ou d’une raison innée, ce qui nous renverrait à la position rationaliste de Descartes ?
1-2-4) En quoi n’est-elle pas une relation rationnelle ? Et qu’elle est sa nature ?
« J'oserai affirmer, comme une
proposition
générale qui n'admet pas d'exception, que la connaissance
de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des raisonnements a
priori;
mais qu’elle naît entièrement de l'expérience quand
nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante
l'un avec l'autre. Qu'on présente un objet à un homme
dont
la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que
possible;
si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable,
à
examiner avec la plus grande précision ses qualités
sensibles,
de découvrir l'une de ses causes ou l'un de ses effets. Adam,
bien
qu'on admette l'entière perfection de ses facultés
rationnelles
dès son tout premier moment, n'aurait pu inférer de la
fluidité
et de la transparence de l'eau que celle-ci le suffoquerait, ou de la
lumière
et de la chaleur du feu que celui-ci le consumerait. Nul objet ne
découvre
jamais, par les qualités qui paraissent aux sens, soit les
causes
qui les produisent, soit les effets qui en naissent; et notre raison ne
peut, sans l'aide de l'expérience, jamais tirer une conclusion
au
sujet d'une existence réelle et d'un fait. »
Explication : La relation, entre
un fait expérimenté présent ou passé et le
fait futur ou passé que l’on en infère sans en avoir fait
l’expérience sensible réelle , ne s’obtient pas par
déduction
logique comme en mathématique, car il n’y a pas de relation de
substitution
et d’identité entre les faits en question : toute relation
déductive
de principe à conséquence s’obtient par substitution de
terme
à des termes identique et/ou équivalent ou par
implication
(ou par inclusion) logique, ce qui est ici impossible : les deux types
de faits (causes, effets) ne se ressemblent en rien et n’ont rien de
commun
; on ne peut découvrir ce qui dans les qualités sensibles
de l’un permettrait de passer dans celle de l’autre par identité
ou implication logique : il ne peuvent donc pas se déduire l’un
de l’autre . Or une relation est soit à priori (déductive
et préalable à l’expérience), soit à
posteriori
(postérieure à l’expérience) ; selon un
raisonnement
logique simple qui fait usage de principe de tiers exclu, la relation
de
cause à effet est donc a posteriori ; (soit A ou non-A, et si
non-A
donc non-A) ; on remarque que Hume déduit ici logiquement sans
avoir
besoin de l’expérience ; c’est pourquoi il ose affirmer sans que
cela puisse être contredit :une déduction logique, comme
il
le dit, ne peut en effet être contredite par aucune
exception
; mais la question de l’origine des raisonnements logiques a priori
n’est
pas traitée ici, elle est simplement évoquée
à
propos d’Adam dont la raison pourrait être parfaite, sous-entendu
avant l’expérience, c’est à dire la capacité
à
déduire logiquement; en tout cas, si la relation de cause
à effet entre des faits n’est pas logique, elle ne peut
être
établie qu’après avoir fait des expériences
antérieures
semblables à celles qui lie chronologiquement (succession dans
le
temps) le fait expérimenté au fait non
expérimenté
supposé. La relation de cause à effet est une relation
psychologique
inscrite dans l’esprit (structure) par l’habitude expérimentale
qui assimile automatiquement par ressemblance l’expérience
nouvelle
d’une succession entre un fait expérimenté et un autre
non
expérimenté à des successions chronologiques entre
faits expérimentés (mais non logiques)
antérieurement
un grand nombre de fois. Elle est le résultat d’une routine qui
établie une conclusion à partir de cas analogues
antérieurs.
L’apparente nécessité de cette relation entre les faits
constatés
et non constatés est subjective : elle renvoie à un
mécanisme
d’inférence (passage) entre nos idées sur fond de
dressage
psychologique par l’habitude expérimentale. Ainsi l’habitude
expérimentale
seule est à l’origine de la relation de cause à effet qui
n’est qu’une relation psychologique d’inférence entre nos
idées,
que, par illusion projective, l’on croit pouvoir reconnaître
comme
une relation logique et nécessaire entre les faits
eux-mêmes
(le sujet projette sa propre structure subjective sur les faits
objectifs).
La connaissance expérimentale de la nature risque donc toujours
d’être victime d’une croyance illusoire : celle qui
prétend
que la nature est rationnelle, c’est à dire qu’elle obéit
à une nécessité logique, alors que cette
prétendue
nécessité objective ne renvoie qu’à nos
opérations
mentales (en partie innées, en partie acquises ; et cela reste
en
suspend, car seule l’expérience empirique peut trancher (aussi)
en ce domaine des sciences de l’esprit). Cette illusion est celle du
dogmatisme
rationaliste, mais celui-ci n’est que la formalisation abstraite, qui
la
renforce par besoin subjectif de certitude (voir Descartes), d’une
illusion
psychologique : l’illusion idéaliste rassurante que le monde
obéit
(doit obéir) objectivement à la raison.
2) Intérêt philosophique du texte
2-1 Son enjeu philosophique.
Deux positions philosophiques s’opposent quant à l’origine et
au fondement de la connaissance :
· L’une rationaliste, qui par besoin de certitude exige que
la vérité (accord entre la pensée et la
réalité)
soit nécessaire, c’est à dire fondée logiquement
sur
des idées évidentes par elles-mêmes.
· L’autre empiriste, qui par souci de réalisme et
d’efficacité
exige que la vérité soit fondée sur
l’expérience.
Dans ce texte Hume montre que la position rationaliste est
irrationnelle
: elle affirme contradictoirement que la nature est rationnelle, en
faisant
usage d’une relation explicative des phénomènes naturels,
la relation de cause à effet, qui n’est en rien une relation
logique
. Or, si cette relation n’est pas logique c’est qu’elle ne peut
s’exercer
que sur fond d’habitude expérimentale qui en est l’origine
réelle
; mais en fait, on peut dire, que cette relation psychologique permet
d’affirmer
illogiquement que lorsque l’on a constaté un grand nombre de
fois
que des faits semblables se suivent , il en sera nécessairement
toujours ainsi à l’avenir ; ce qui permet de prévoir avec
certitude psychologique (les mêmes causes engendrant les
mêmes
effets) ou d’inférer d’un fait réel, un autre fait
supposé
(cause ou effet) semblables à un grand nombre de cas
antérieurement
expérimentés. Le rationalisme dogmatique se mord la queue
: il ne peut fonder la vérité car il ne peut
démonter
que le relation de cause à effet, dont nul ne peut se passer
pour
connaître et faire des prévisions, est une relation
rationnelle,
c’est à dire évidente et certaine et/ou de type
déductif
(principe à conséquence). La force de l’argumentation de
Hume est telle que, la tentative de Descartes de fonder la connaissance
sur la raison d’origine divine ayant rationnellement
échouée
et étant contraire à l’expérience même de la
connaissance, il ne restait plus à la philosophie qu’à
reconnaître
que les connaissances scientifiques positives n’ont plus besoin
d’être
fondées métaphysiquement pour être vraies : il leur
suffit de mettre leurs hypothèses à l’épreuve de
l’expérience
reproductible. C‘est en tout cas la conclusion qu’en tirera Kant qui
affirmera
que la critique de Hume du rationalisme dogmatique l’a
réveillé
(ainsi que la pensée philosophique) de son (leur) sommeil
dogmatique.
Mieux, Kant en déduira que la métaphysique rationnelle
dogmatique
n’est pas (et ne peut pas être) une science, mais une illusion de
l’esprit qui croit pouvoir produire des connaissances vraies d’une
réalité
qui échapperait à toute expérience possible, alors
que toute les hypothèses rationnelles, les plus contraires sont
alors possibles sans que l’on puisse, en ce domaine et en l’absence de
toute possibilité de faire des expériences, trancher
entre
elles. Est-ce à dire que la position de Hume ne soulève
pas
des difficultés et qu’elle ne rencontre pas des limites ?
2-2 Ses limites et ses
difficultés.
1) La vérité (accord de la pensée avec
l’expérience
sensible) d’une loi générale de cause à effet
perd,
pour Hume, tout caractère de nécessité : elle est
relative dans le temps, car elle n’est vraie que jusqu’au moment
où
elle pourra toujours être démentie par une
expérience
nouvelle ; elle perd donc aussi tout caractère
d’universalité
objective. Elle n’est qu’une croyance subjective plus probable qu’une
autre
car statistiquement fondée sur un plus grand nombre de cas
semblables.
2) Sa conception de la connaissance et de l’esprit du sujet qui
connaît est passive : elle rend impossible l’anticipation par les
sciences de relations causales ou de l’existence d’objet dont on
n’aurait
jamais fait l’expérience : elle soumet l’imagination
scientifique
au passé en ramenant l’inconnu au connu ; elle
méconnaît
en particulier le rôle de l’imagination et de la déduction
mathématique dans la production de modèles de la
réalité
qui invente (avant qu’ils ne soient redécouverts
expérimentalement,
d’une manière directe ou indirecte) des paramètres et des
objets expérimentables nouveaux.
3) Elle ne comprend pas que l’expérience scientifique
elle-même n’est plus une expérience empirique et
sensible
mais qu’elle est rationalisée par des questions relevant de
modèles
théoriques anticipateurs mathématisés et par un
traitement
quantitatif, objectif et instrumentalisé par des moyens
techniques
de mesures objectifs et universellement étalonnés
et, de ce fait, qu'elle est qu’elle est reproductible car
rationalisée
par la maîtrise (dans les conditions du laboratoire) des
conditions
initiales et par la rigueur des questions posées en terme de
paramètres
quantitatifs calculables et mesurables.
4) Elle prétend écarter la logique comme fondement
et critère de la vérité des
connaissances,
alors qu’elle ne peut éviter de s’en servir pour démonter
la validité de sa propre thèse, à partir des
exemples
d’expériences qu’elle invoque.
2-3 Son actualité
Le dynamisme des sciences est provoquée par le dialogue critique
permanent entre les hypothèses et théories rationnelles
en
tension permanente et l’expérience ; c’est à dire par le
débat renouvelé entre un rationalisme qui a tendance a
faire
une confiance trop grande dans ses modèles historiques, au point
de s’enfermer dans un dogmatisme stérilisant et un empirisme qui
refuse toute théorie trop audacieuse comme métaphysique
et
invérifiable. L’intérêt de la critique de Hume,
dans
cette débat est encore et toujours de rappeler les sciences
à
soumettre leurs hypothèses à l’épreuve des faits
et
de ne pas croire que le monde est réductible aux constructions
logico-mathématiques
les plus satisfaisantes pour l’esprit et donc les plus menacées
par l’illusion idéaliste et dogmatique.
Hume par son refus de la métaphysique et malgré son
modèle
un peu frustre nous invite à penser la question de la production
des connaissances en terme scientifique ; celle que développe
aujourd’hui
les sciences cognitives.