Suis je libre quand je fais mon devoir?

La notion de liberté signifie spontanément l'absence de contraintes, l'expression de nos désirs personnels sans rencontrer d'obstacles extérieurs et d'interdits normatifs faisant peser une menace  en cas de transgression; ainsi le devoir, en tant qu'il oblige et interdit de faire telle ou tel acte, à l'encontre de nos désir, semble  incompatible avec l'idée même de liberté.
Cependant celui qui refuserait toute obligation serait condamné à suivre aveuglément ses désirs qui le dominerait jusqu'à la violence et le chaos contradictoire de ses impulsions; qui refuserait d'obéir à la loi; qui dérogerait à ses devoirs vis à vis des autres mettrait leur vie et leur autonomie et, en retour la sienne en danger: si nous avons besoin des autres, à moins d'avoir sur eux un pouvoir absolu, ce qui est impossible, nous devons pour obtenir d'eux leur collaboration que nous respections leur droits et donc que nous obéissions que ce la nous plaise ou non à nos devoirs (commandement) envers eux. Kant n'affirmait-il pas que seul le devoir moral et les commandements universels (valant pour tous sans contradiction) de la raison nous libèrent de la domination des passions, de la violence et des contradictions qu'elles produisent nécessairement?
Ainsi la notion de devoir, dans son rapport à la liberté semble marquée d'une ambivalence radicale: elle peut être perçue comme l'obstacle de l'expression de nos désirs propres d'autre part la condition de toute maîtrise raisonnée et raisonnable de soi, voire de notre droit à la liberté, compte tenu que celui implique nécessairement qu'on se fasse le devoir de les respecter chez les autres.
C'est pourquoi la question:"Suis libre de faire mon devoir?" nous invite à nous demander au nom de quelle définition de la liberté, le devoir peut être seulement compatible avec elle, sinon pourquoi et si oui à en quel sens, à quelles conditions et dans quelles limites?
Une tel examen engage l'idée qu l'on doit se faire de la liberté pour concilier, si cela est possible, notre désir d'autonomie avec les obligations qui  assurent le bien-vivre ensemble (sans violence).Un tel est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que nous vivons dans une société libérale qui, en l'absence de référence communes transcendantes impératives et indiscutables, exige ce compromis permanent pour réduire le risque d'anomie et de  chaos autodestructeur de tout lien social. (le chacun pour soi) dont tous seraient victime dans leurs droits/libertés et dans leur vie.

1) Le devoir contre le désir

1-1 Devoir et contrainte.
Nul n'aurait conscience de ses devoirs s'il n'était éduqué par ses parents d'une manière autoritaire  et nul ne les respecterait s'ils ses devoirs n'étaient accompagnés de la menace de sanction. Donc tout devoir est une contrainte et toute contrainte vise à restreindre la liberté d'action de chacun. Or qu'elle serait celle ci si elle n'était pas celle d'agir de notre plein gré, selon nos désirs propres et c'est à dire pour se faire plaisir et chacun sait que chacun vit son plaisir pour lui-même et non pour celui des autres, même si parfois,  dans le meilleur de cas, et cela ne dépend pas seulement de nous, le  plaisir peut être mutuel. mais le plu souvent le plaisir de chacun fait le déplaisir des autres; surtout lorsque plaisir met en jeu notre amour propre; pensons à la compétition sportive ou scolaire par exemple et plus généralement à l'ambition. et à la réussite sociale.

1-2 Désir et liberté
Le désir est nécessairement égocentrique et le plus grand des désirs chez un homme , être conscient de lui même  c'est de s'affirmer comme supérieur aux autres (honneur, prestige) donc à leurs dépens (argent, pouvoir, possession, sexualité) en ce sens l'homme est un loup pour l'homme  et vise la destruction ou a domination de l'autre toujours concurrent : la seule loi de la liberté c'est le loi du plus fort: obéir au devoir qui nous contraint de respecter la liberté d'autrui, c'est donc nécessairement s'affaiblir et se soumettre plus ou moins selon le rapport des forces qui nous y contraint à la loi de leur désir: la liberté universelle est une illusion: si tout le monde est libre en théorie (faire ce qu'il veut) personne ne peut l'être en pratique car les libertés s'annulerait  les unes les autres; chacun devant se soumettre en permanence au de voir de respecter le liberté d'autrui aux dépens de la sienne propre. Respecter la liberté d'autrui, c'est toujours renoncer à l'emporter en imposant son désir de réussite vis à vis des autres; renoncer à imposer son désir; c'est renoncer à agir par nous même et pour nous même; ce qui est la définition la plus universelle et commune de la liberté: être soi (son désir) et agir pour soi (son plaisir de se reconnaître comme supérieur aux autres, donc comme valeur, si tant est que une valeur commune est banale et donc sans valeur ou alors s'affirme aux dépens d'un autre groupe partageant des valeurs différentes. et de ce fait,  jugé  nécessairement inférieur).

1-3 Le devoir moral contre la liberté intérieure.
Mais le devoir est souvent perçu comme une obligation intérieure que l'individu s'impose à lui-même, n l'absence de toute sanction ou menace extérieure; c'est ce que l'on appelle la conscience morale qui nous fait juge de nous-même et, dans la mauvaise conscience,  le remord e la honte de soi, bourreau de nous-même, car ses sentiments négatifs de soi sur soi compromettent tous nos plaisirs et surtout le plus fondamental: celui de l'amour de soi (honneur, prestige, orgueil, fierté, estime de soi ...) Or cette conscience intérieure du devoir est générée par l'éducation que nous avons reçue, celle ci est toujours contraignante et menaçante; la preuve est que, sans éducation, et la menace des adultes, l'enfant devient nécessairement violent et tyrannique. Pour échapper à cette menace éducative extérieure, l'enfant l'intériorise; ce qui produit en lui le sentiment, sinon l'idée, du bien et du mal qui lui interdira, sauf à se sentir coupable et honteux de lui-même donc malheureux, de commettre les actes qui pourraient lui faire plaisir; il perd toute autonomie dès lors que ses désirs eux-mêmes sont réprimés avant de devenir des actes, voire il en perd conscience en le refoulant; il devient alors un individu normal qui agit selon des règles et des conventions sociales prescrites et pour faire plaisir aux autres; c'est la domination intériorisée la plus profonde et la plus efficace car, contre elle, on ne peut se révolter pour s'affirmer soi-même.
Conclusion: Si la liberté est dans l'autonomie comme faculté d'agir par soi-même et pour son plaisir, si elle est puissance et si elle implique le pouvoir de s'imposer et d'imposer ses désirs personnels aux autres, alors plus on a du pouvoir plus on est libre et moins on a de devoirs à respecter: le devoir est liberticide par définition dans la mesure ou il contredit toujours l'individualité propre du sujet au profit de la soumission au groupe.
Transition: Mais refuser tout devoir n'est-ce pas compromettre tout lien social pacifique et donc remettre en cause la liberté des autres et partant, par réciprocité récurrente, la sienne propre?

2) Le devoir comme condition nécessaire de la liberté.

2-1 Le désir est aveugle et tyrannique.
Prétendre que le désir est source de liberté en tant que   pouvoir de se déterminer soi-même est une illusion justement dénoncée par tous les philosophies  morales.  Le désir et excessif et dominateur, car il pousse l'homme à jouir sans fin, ni mesure aux dépens de tout prudence dans l'illusion que tout plaisir est bon et que tout désir est tout puissant face au réel; ce qui condamne à la déception et à le désillusion dépressive; en cela le désir, livré à lui-même est passion aveugle et soumet l'individu au risque  du délire, de l'échec, et surtout aux contradictions qui affecte l'hybris (la faculté de désirer) humaine: nous désirons tout et son contraire, nos désir se contrarient sans cesse et nous laissent dans l'incapacité d'agir efficacement à long terme, condition nécessaire de la réussite de tout projet

2-2 Le devoir civique comme condition de la liberté universelle.
La liberté de chacun ne vaut que dans le cadre d'une loi universelle de liberté et cette loi doit permettre la coexistence non violente des individus, sinon la liberté de chacun serait toujours menacée par celle des autres; la loi de la jungle soumet chacun à une totale insécurité qui rend impossible l'exercice de son droit  à agir selon ses fins. La liberté sans règle ni devoir s'autodétruit nécessairement sauf à croire, illusoirement que un individu (moi) peut être le maître absolu de tout les autres, c'est à dire d'être suffisamment fort pour être définitivement le plus fort, ce qui est rigoureusement impossible. Respecter son devoir est donc la condition pour que chacun soit libre dans le cadre d'une loi qui limite son droit naturel au plaisir pour garantir la mise en oeuvre de son droit au bonheur, c'est à dire à l'autonomie dans la poursuite de ses fins propre pour se reconnaître et se faire reconnaître par les autres (ce qui est indissociable) sans nuire au même droit des autres et donc au sien, si tant et que les droit et les devoirs doivent être universels c'est à dire et réciproques et égalitaires  pour être reconnus par tous comme justes et légitimes: le devoir civique exige le respect de la réciprocité des droits et en cela il est une condition de la liberté civile; en obéissant à le loi, au service de la liberté de tous, nul n'est soumis à un maître et donc chacun, en tant que citoyen, n'obéit qu'à lui-même. Ce qui est la condition de la liberté civile et de la concorde mutuelle en tant que seule cause de la paix civile authentique qu'il ne faut pas confondre avec l'absence de guerre civile ouverte, toujours provisoire,  produite par  la terreur (violence tyrannique). Mais ne convient-il pas de mettre en question l'idée de liberté comme expression spontanée du désir? N'est ce pas justement la raison morale et la conscience du devoir qui nous rend intérieurement libre, au sens de la maîtrise de soi et de l'autodétermination?

2-3) Le devoir moral comme condition de la liberté intérieure.
Si le désir sans limite et règle est source d'aliénation et de dépendance, voire source de violence destructrice et autodestructrice; on  doit considérer que la seule faculté régulatrice qui rend possible la liberté intérieure comme capacité à se commander à soi-même est la raison. Elle seule, en effet est capable de nous sortir de la contradiction du chaos et de la dépendance des passions, en cela qu'elle seule peut nous indiquer ce qui est universellement bon sans contradiction. Etre libre et être raisonnable sont une seule et même décision disait Kant. Kant distinguait l' impératif catégoriques de la raison morale par lesquels nous pouvons nous déterminer au bien universel dans la cohérence et les impératifs hypothétiques qui sont soumis à la détermination de nos désirs toujours contradictoires et égoïstes; l'impératif catégorique est le suivant : "Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse valoir comme un loi universelle " ; en cela il est seul impératif non-violent et pacificateur des relations humaines car ils transcende le jeux des désirs toujours concurrents; c'est pourquoi sa traduction morale concrète est la suivante: "agis de telle sorte que tu traites l'humanité en toi-même et en la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme moyen" Seul est libre celui qui obéit à l'impératif catégorique du respect de l'humanité en chaque homme et ce qui fait la valeur et la dignité de l'homme réside justement dans ce pouvoir de se commander à lui-même qu'est la  volonté raisonnable. Faire son devoir parce qu'on le doit, faire son devoir non par intérêt, même bien compris, pour avoir bonne conscience et/ou pour se faire bien voir (conformisme), mais parce que nous nous représentons la loi morale dans sa valeur absolue (inconditionnelle) est le seule manière pour l'homme de se respecter lui-même, non dans son individualité subjective mais dans son humanité objective universelle. En cela il n'est plus soumis, ni aux autres, dont dépendent toujours plus ou moins les plaisirs qu'il recherche frénétiquement, ni à son propre  désir. Il fait ce qu'il veut et non ce qui le pousse à se satisfaire et le rend dépendant des plaisirs sensibles, toujours éphémères et décevants. L'estime morale de soi et le sentiment de respect que nous confère l'action moralement bonne est la sanction, non le but de notre action ; mais c'est aussi ce pas quoi nous sentons libre de choisir entre la raison et les passions; ces sentiments sont la conséquence et non la cause ou  finalité, dans notre sensibilité, du pouvoir en nous de la raison qui est notre seul pouvoir d'autonomie.

Conclusion: Je suis donc d'autant plus libre, c'est à dire une  personne capable d'autonomie (obéir à la loi morale que l'on se représente comme universellement bonne est la seule manière de s'autodéterminer consciemment), que je fais mon devoir moral car seul il me rend sensible le respect que le me dois ainsi qu'à tout homme, seul il me permet de ma délivrer de mon égoïsme individuel et de m'ouvrir aux autres dans le respect et la solidarité qui rend possible ce règne des fins que Kant appelait de ses vœux sur la plan politique, c'est à dire une société républicaine composés d'individus libres et respectueux les uns des autres.
Transition: Mais si le devoir moral et civique est condition de la liberté, on ne peut être libre qu'en renonçant au désir d'être heureux pour soi comme but de nos actions; or il semble bien qu'aucune action ne soit possible sans une finalité satisfaisante, y compris l'action morale dès lors qu'elle nous  procure le sentiment de notre dignité et donc un contentement de soi-même, une valorisation de soi. mais peut-on être libre en renonçant à s'affirmer soi-même dans son aspiration, que Kant reconnaît comme naturelle, au bonheur? Puis-je être libre et faire mon devoir civique, voire moral, si je me sens malheureux, puis-je agir si je désire pas en être personnellement récompensé; ce que Kant admet du reste lorsqu'il fait de l'espérance de la béatitude après la mort un postulat de la moralité. Il convient donc de nous interroger sur le rapports entre le devoir, l'aspiration au bonheur, comme reconnaissance positive  de soi par soi, et la liberté.

3 Bonheur, devoir et autonomie.

3-1 Bonheur et désir
Tout plaisir ne procure pas  la joie; seuls le plaisir valorisant rendent heureux; c'est pourquoi il n'y a pas de drogué heureux mais que réussir une tache difficile, s'exprimer pour se faire comprendre, se faire reconnaître par les autres, exercer des responsabilités, gagner une  compétition  et ou un concours,  aimer qui nous aime etc.., rendent heureux. mais si tout plaisir ne rend pas heureux , toute joie, ou moment de bonheur prolongé par le souvenir que nous en gardons, est un plaisir; c'est pourquoi Kant à tort d'affirmer que le bonheur est un idéal de l'imagination irrationnel en tant qu'entière satisfaction de tous nos désirs; seuls les désirs vertueux rendent heureux, c'est à dire les désirs qui nous procurent, selon Spinoza, le sentiment de l'accroissement de notre perfection. la conscience positive de soi, de notre valeur personnelle. Ces désirs sont indispensables à l'expérience du bonheur durable; par contre, les plaisirs purement "extérieurs" sont fugaces et décevants ; de plus, en l'absence, de contentement intérieur, de satisfaction dans la reconnaissance positive de soi, ils produisent et aggravent la dépendance, dont l'usage des drogues fournit le meilleur exemple : la déception que provoque le sentiment de notre dépendance, produit le mépris de soi, lequel aggrave le sentiment de notre impuissance, en un cercle vicieux sans fin qui nous enchaîne inexorablement à notre propre malheur. le bonheur suppose donc l'autonomie et la conscience de l'autonomie du sujet.

3-2 Autonomie et bonheur
C'est dire que l'autonomie, comme puissance d'affirmation de nous-même, de notre désir de reconnaissance positive est une condition nécessaire du bonheur  et que l'on ne peut et ne doit plus opposer, comme semblait le faire Kant, l'aspiration au bonheur et l'exigence morale du devoir, à moins de condamner le sujet (le "je" de :suis je libre?)  au déchirement de la conscience malheureuse; déchirement entre l'aspiration au bonheur réputée à tort immorale et le devoir purement raisonnable (soumission inconditionnelle à la loi de la raison, indépendamment de tout intérêt personnel), alors même que le désir d'être moral (de faire son devoir), comme désir d'autonomie implique, pour se manifester le désir d'être heureux, au point de se confondre avec lui (eudémonisme)

3-3 Devoir et bonheur
je ne peut être suis heureux que si je me reconnais dans ma valeur et ma puissance d'agir; or cette reconnaissance implique des valeurs (des fins bonnes en général) que le sujet pose comme susceptibles de valoir  pour lui comme pour les autres. Ainsi le sentiment du devoir accompli est indissociable de celui de la valorisation de soi qu'est le bonheur; en cela le bonheur implique donc des devoirs de respect et de solidarité vis-à-vis des autres car la  reconnaissance de nous-même exige la possibilité de leur jugement positif sur nos actions. On ne peut pas s'aimer et s'estimer soi-même (se poser comme valeur) sans le désir de l'être par les autres. Le bonheur implique donc bien un devoir: celui de se refuser aux plaisirs passifs et dégradants (drogues), celui de se vouloir autonome dans l'affirmation de son désir actif de puissance et de reconnaissance positive de soi; celui de se respecter soi-même. Mais ce devoir n'a rien de sacrificiel; il est au contraire accomplissement de notre désir d'être vraiment et durablement heureux (content de soi).

Conclusion :
Je ne suis libre qu'à la condition de m'accomplir dans mon désir d'être heureux, selon mes talents propres, et le seul devoir que cela exige est de me vouloir autonome (maître de moi) , à savoir : me réaliser comme valeur dans ma puissance autonome d'agir et d'être par moi-même. Etre libre implique de se vouloir un "je" qui se détermine lui-même pour être content de soi.  En cela devoir d'être autonome et devoir d'être heureux avec soi et les autres se confondent. Ce qui a toujours été l'idéal à la fois théorique et pratique de la sagesse antique (eudémonisme).



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