L'usage de la raison nous rend-il libre?

Publié le 21 Novembre 2010

 Dissertation d'Eloïse Tréand, élève de TL2.

Une dissertation remarquable par la finesse de ses analyses! Merci à Eloïse de nous donner à penser!

Bonne lecture à tous ceux qui passeront par là!

 

La raison est une faculté proprement humaine. En faire usage, c'est se permettre d'observer et d'agir selon sa réflexion, de se forger son opinion, et par là de s'affranchir de ses servitudes. Tous les Hommes sont doués de raison, et peuvent alors raisonner sur tous les sujets, et se libérer de leurs jougs. La raison nous donne en effet des clés pour devenir autonome, émancipé des contraintes qui nous maintenaient sous tutelle ; en raisonnant nous pouvons nous fixer nos propres règles, refuser la soumission aveugle de l'ignorant. Cependant, à trop raisonner et rationaliser, ne risquons-nous pas aussi de nous emprisonner dans une logique aveuglante. Comment l'usage de la raison permet-il une émancipation, une levée de nos tutelles ? Est-ce cependant suffisant et nécessaire pour nous rendre libre ? Notre liberté ne dépend-elle pas également d'autres facteurs, d'une connaissance de soi qui passe par d'autres aspects de notre personne qui échappent à la raison ?

  Rene-Magritte---L-homme-au-chapeau-melon.jpg

                                                                       Magritte, L'homme au chapeau melon

 

L'Homme est soumis à de nombreuses servitudes de différents ordres. Ces servitudes l'assujettissent à des comportements qu'il ne choisit pas, et dont il ne mesure pas toujours totalement la portée. La raison lui permet de prendre conscience de ses servitudes et alors de s'en libérer, s'il le souhaite – s'il ne le souhaite pas, ce seront alors des soumission choisies, qui découlent d'un choix libre. Parmi les servitudes dont l'Homme est familier, les trois les plus courantes sont celles de l'instinct, des réactions animales ; celle des passions, ces sentiments extrêmes ; enfin, celle des croyances, qu'elles relèvent ou non de la foi.

  L'Homme est avant tout un animal – un animal doué de raison. A ce titre, il a des instincts, des réflexes que sa raison ne contrôle pas toujours. Ces instincts concernent principalement la survie : manger, dormir, se reproduire. C'est ce à quoi se résume la vie de n'importe quel animal, et ce à quoi se résumerait la vie humaine si la raison ne nous permettait pas de dépasser ces besoins primaires pour s'ouvrir à d'autres activités. Grâce à la raison, un Homme ne pensera en effet plus seulement à la survie de l'espèce et il sera alors hors de propos pour lui de laisser le plus de descendants possible.

  En outre, la raison nous donne un droit de regard sur les lois naturelles qui régissent le monde vivant et auxquelles de ce fait nous ne sommes pas entièrement soumis. Avec la médecine, la sélection naturelle éliminant les individus les plus faibles n'a plus lieu d'être. De même qu'être reconnu comme « faible » n'engage pas une réduction des droits, y compris du plus fondamental, celui à la vie.

La raison est également un moyen d'analyser les situations, et de réagir de façon adaptée. Garder la tête froide devant un accident nous fait prendre conscience de la nécessité ou non d'appeler les secours, tandis que hurler à la vue du sang n'est pas des plus approprié. Cependant, ne sont-ce pas des réflexes, des instincts qui peuvent nous sauver la vie ? Partir en courant lorsque nous sommes menacés par un danger imminent sans se poser de questions est alors plus important que de rester sur place à se demander ce qu'il convient de faire. La raison nous émancipe donc des pulsions de vie les plus basiques, mais ce sont ces mêmes instincts qui forment la base de la vie, et sont parfois salvateurs.

 

L'Homme est soumis non seulement à sa nature, mais aussi à ses passions, ses sentiments, son coeur. Raison et sentiments sont souvent mis en opposition, justement parce que tout les sépare. Les passions, des sentiments très violents, sont irrationnels. De ce fait, on ne peut les maîtriser qu'à grand peine. Quand nous sommes sous l'emprise d'une passion, il est impossible de raisonner, l'esprit entier est occupé par ce sentiment qui nous ôte tout esprit critique. On ne peut plus avoir de recul sur rien, et nos actes sont entièrement guidés par la passion. On agit sur un coup de tête, sans réfléchir aux conséquences de nos actes. L'esprit critique qui nous permet de juger et de réfléchir sur nos actes, est totalement absent de l'être passionné. Les passions peuvent nous plonger dans le désespoir le plus profond, car le manque de vues critiques nous entraîne dans des conséquences de nos actes parfois très négatives. Lorsqu'on se jette à corps perdu dans quoi que ce soit qui nous est inspiré par la passion et que ce quoi que ce soit vient à nous manquer, rien ne peut nous faire oublier ce manque. On comprend alors que « passion » vienne du latin signifiant « souffrir ». Des philosophes de l'antiquité comme les épicuriens ou les stoïciens prônaient, pour éviter la souffrance induite par les passions, l' « ataraxie », autrement dit l' « absence de mouvements de l'âme ». Pour eux, se préserver des passions permet un accès facilité au bonheur. Or, les passions sont très présentes chez l'Homme, les réfréner demande un effort considérable. Toujours se contraindre, sans arrêt surveiller son âme afin d'étouffer chaque début de passion ne mène-t-il pas finalement à une véritable camisole morale, entravant chaque émotion ? Un juste usage de la raison devrait permettre de contrôler ses passions les plus extrêmes, mais sans exagération, en nous laissant libre d'éprouver des émotions qui nous font nous sentir vivants.

 

Les hommes ont des croyances, ils ont la capacité de tenir pour vrai ce qui leur est dit, sans preuves tangibles. Parti de là, il est facile de soumettre tout un groupe, un peuple même, à une croyance. Celui qui croit obéir sans réfléchir à ce en quoi il croit. Il prend ce qu'il entend pour la vérité, or la meilleure approche de la vérité est la preuve scientifiquement irréfutable. Croire ne nous encourage pas à exercer notre libre-arbitre, à chercher par nous-même que penser. Se contenter de fausses évidences est une solution de facilité. La raison, au contraire, remet sans cesse en cause ce qui est dit sans être raisonnablement prouvé. De plus, dans le cas des religions, il ne faut pas oublier que ce qui est dit dans les livres Saints et qui sert de base à la foi peut-être interprété de différentes manières, et que ce sont des Hommes qui les interprètent. Hommes qui cherchent à asseoir une domination, une autorité sur les croyants. Ces derniers se trouvent alors instrumentalisés, manipulés au nom d'une foi. Tandis que qui fait usage de sa raison saura ne pas tomber dans le fanatisme, et pourra relativiser ce qui lui est raconté, et rester ouvert à des analyses scientifiques, ou à des avis émanant de croyances divergentes. Réfléchir par soi-même aux problèmes posés par les diverses croyances permet de développer son argumentaire en l'étayant de plusieurs avis, la preuve scientifiquement démontrée restant cependant l'argument final. Il faut tout de même rester vigilant quant à la science, qui si elle se substitue à la religion ou à la croyance est une autre prison ; la science démontre, mais ne justifie rien. Le scientisme est le plus gros danger de la domination de la science, et s'apparente à une croyance, celle que tout peut être prouvé, et que la nécessité de tout savoir se suffit à elle-même, qu'elle aura un jour une preuve du bien-fondé de sa démarche. Substituer une croyance à une autre, en prétendant en finir avec la foi aveugle, telle est la réalité du scientisme. Croire, donc, mais pas n'importe qui, pas n'importe quoi ; tenir la preuve scientifique pour supérieure à la croyance sans la considérer comme justificatrice d'actes humains ; et toujours raisonner sur ce que l'on croit et ce que l'on sait est un bon moyen de ne pas se trouver ignorant, croyant par défaut de raisonnement, et avoir garder ses distances avec les énoncés péremptoires.

 

La raison nous permet donc de nous affranchir de nombre de nos servitudes, et pourtant, en excès elle devient dangereuse et inhibante. Elle ne peut alors être la seule condition de notre liberté.

 

La liberté ne relève-t-elle pas davantage d'un cheminement ? L'Histoire nous présente l'usage de la raison comme seule clé reconnue par les philosophes pour la liberté : quelles ont été les conséquences de cette pensée ?

 

Cheminer vers la liberté, c'est faire usage de l'ensemble de nos capacités, dont la raison, sans entraver pour autant certaines parties de nous qui nous forgent, et qui sont pourtant totalement hors de contrôle. Si faire usage de sa raison a longtemps été un facteur déterminant, et l'est toujours, dans la quête de liberté, la raison à tout prix a en revanche eu des conséquences désastreuses, dont le XXième siècle n'est pas le moindre exemple.

 

Depuis l'Antiquité grecque, l'usage de la raison est omniprésent dans les discours philosophiques. Pour les Grecs, la raison est ce qui définit l'Homme,ce qui le fait sortir de sa condition d'animal, pour devenir un animal conscient de lui-même et des autres, l'émancipe du joug des passions et de la foi... Un Homme libre est alors un Homme raisonneur. La posture humaniste est légèrement plus complexe, parce qu'elle place non pas la raison au coeur des préoccupations des Hommes mais l'Homme lui-même au centre de l'univers. La raison n'est alors qu'un des nombreux merveilleux attributs de l'être humain. Plus tard, les philosophes des Lumières remettent la raison au centre de leur réflexion. D'après eux, c'est de la raison que viendra le renouveau, que l'émancipation totale de tous les Hommes pourra se faire. La raison viendra éclairer les esprits endormis par des siècles d'obscurantisme, et apportera un monde meilleur, gouverné par elle. Car selon ces philosophes, tous les Hommes sont capables de raisonner, il faut juste qu'ils aient le courage de se lever contre leurs tutelles, de se servir de leur propre entendement. « Sapere aude ! » (Ôse penser) s'écrit Kant à ce sujet. Les Lumières rêvent d'un monde, d'une société basée sur la raison. Et non plus sur un pouvoir despotique, arbitraire et illégitime car justifié uniquement par la croyance. Ce désir est pourtant à double tranchant : d'une part, la raison a bien renversé le pouvoir en place et a débouché sur la démocratie, donc l'usage de la raison a eu un très important rôle émancipateur lors de la Révolution Française à partir de 1789 ; mais d'autre part le chemin fut long entre la prise de la Bastille cette année-là et une véritable démocratie, seulement plusieurs années après. Car le règne de la raison voulu par Robespierre, Danton, s'est transformé en règne absolu de la raison à tout prix ; les opposants étaient éliminés sans pitié et sans véritables preuves, uniquement sur des dires, des croyances, soit bien à l'opposé des idéaux de départ. La raison exagérée débouche sur le scientisme, et le scientisme, utilisé par des personnes sachant en tirer bénéfice, est à l'origine du nazisme et de l'extermination programmée et théorisée de plusieurs peuples, ainsi qu'à une autre dictature, celle du stalinisme. Le stalinisme est en effet un communisme apparent, mais pourtant déformé par Staline. Mais le communisme vient lui-même d'une rationalisation des rapports entre les Hommes. Il a toujours été répandu l'idée que l'usage de la raison permettait aux Hommes de se libérer, or si cette raison est mal utilisée, elle devient une servitude au moins égale, sinon pire que celle de l'ignorance.

 

Le cheminement vers la liberté ne pouvant se composer que de l'usage de la raison, il prend certainement en compte d'autres facteurs, dont la connaissance de soi. L'être humain, selon Freud, est constitué de différents niveaux de conscience : Le conscient et l'inconscient. De ces deux parties, seul le conscient peut être rationalisé, cependant l'inconscient n'en est pas pour autant plus négligeable ! C'est de l'inconscient que viennent les instincts, les pulsions... C'est aussi dans l'inconscient que sont relégués nos désirs, nos moindres souvenirs. Ce que la raison refuse, parce que ce peut être incorrect, gênant, refoulé, l'inconscient va le garder, et tout peut ressortir sous forme de lapsus, de rêves... Se connaître totalement passe forcément par l'exploration de cet inconscient, qui échappe à la raison. La psychanalyse est alors un bon moyen pour poursuivre la quête de son identité, parce qu'elle va nous permettre des incursions dans cette part de notre esprit qui est très présente, dans chacun de nos actes. Si l'inconscient, qui est complètement irrationnel et incontrôlable, est si important dans la personnalité humaine, on ne peut alors pas le négliger ou en faire abstraction sous prétexte de se préoccuper uniquement de sa raison, de son conscient. Car alors, toutes les passions, tous les instincts, toutes les pulsions que l'on refoule se trouvent dans l'inconscient, et sont latents dans notre esprit, nous empêchant d'avancer vraiment librement.

 

L'usage de la raison peut avoir des conséquences inimaginables avant leur réalisation, et la liberté ne peut s'obtenir que par une connaissance approfondie de soi, en prenant en compte aussi bien ses parts irrationnelles que raisonnables et raisonnées.

 

 Dans la quête de liberté, l'usage de la raison est un facteur certes déterminant, mais pourtant pas prédominant. La liberté s'acquiert par la connaissance de soi, tant du soi rationnel que du soi irrationnel et inconscient. La raison lève de nombreuses servitudes, et nous rend humains ; sans elle, nous ne serions guère plus que des animaux. Cependant accorder à la raison une place plus puissante, plus de pouvoir que ce qu'elle a, c'est rendre possibles tous les excès. C'est pourquoi il ne faut pas, dans son désir de liberté, se focaliser sur l'usage de la raison et prendre en compte toutes les facettes de l'esprit humain.

 

  Juste une petite remarque pour la fin de la dissertation :  il me semble que Freud cherche plutôt à rationaliser l'inconscient puisqu'il montre que des comportements ou des rêves qui peuvent sembler insensés ne sont pas en réalité dépourvus de signification. J'aurais donc plutôt cité Nietzsche, Fourier ou encore les Surréalistes pour montrer la dimension libératrice d'un inconscient qui échappe définitivement à toute volonté de contrôle par la raison.

Rédigé par Eloïse Tréand

Publié dans #Corrigé de dissertation

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Eloïse 01/12/2010 17:46


Nolwenn, je suis vraiment désolée, mais je ne comprends pas vraiment ce que tu veux dire, quelle est ta question...
Pourrais-tu, s'il te plait, la reformuler... un peu plus clairement ?


nolwenn 24/11/2010 20:57


Il est clair que cet écrit donne matiere à réfléchir, en particulier la partie relative à l'inconscient... Cependant, j'aurais une question, qui s'adresse aussi bien à toi qu'à madame Bouchet.
Tout au début, tu dis que l'homme doué de raison peut se rendre compte de ses servitudes, et ainsi s'il le souhaite s'en émanciper. Dans le cas où il ne le désire pas, tu nous explique qu'il s'agit
d'un choix libre.
Plus bas, tu aborde la question de dissociation entre raison et sentiments, où la je me rend bien compte que seul l'usage de la raison permet la dissociation de ces deux choses, et donc notre
émancipation.
Mais alors, qu'en est il d'un homme, doué de raison, qui a usé de cette faculté, et à qui s'offre à lui deux possibilités:
L'une implique sont refus d'agir, et engendre sa souffrance ainsi que celle de ses proches, pouvant allé jusqu'a la mort de chacun.
L'autre lui dit qu'il doit agir, faire abstraction de ses propres valeurs morales, mais ainsi préservé ses proches.
Et voici enfin ma question, laquelle de cex deux possibilité d'après toi relève du domaine des sentiments, c'est à dire que sa raison a plié devant la force de ses sentiments, et laquelle releve
purement de la raison et ne fait pas entré en compte les sentiments.
Cependant, je pense avoir déja une petite idée, mais en lisant ta disserte, je pense que pourra poussé la réflexion bien plus loin que ce que je ne suis capable...
Et pendant que j'y suis, d'après toi, laquelle des deux le menera vers la liberté ?