Introduction
1)
Fil directeur du texte : comment saisir le temps réel ?
Par la science ou par la conscience ? I.e. : le temps
réel peut-il être saisi par la pensée mathématique,
par la science, ou bien fait-il l'objet d'une saisie intérieure
à la conscience ?
2)
Thèse de l'auteur : la science ne peut saisir le temps
réel. Le temps réel est durée, donc, seule
la conscience, qui vit en durée, peut appréhender
le temps réel.
3)
Structure argumentative du texte. Trois moments : 1) et
2) = argumentation négative et 3) = thèse positive.
I)
" Le temps réel ... pour essence de ne pas durer " :
le temps réel échappe aux mathématiques, en
raison d'une impossibilité de droit.
II)
" Nous savions bien ... d'un certain genre " :
Bergson fait le constat qu'il y a bien mesure du temps par les mathématiques ;
toutefois, cette mesure du temps ne concerne pas le temps réel,
mais le temps fictif ou symbolique qu'est le temps mathématique.
La mesure du temps suppose en effet que le temps soit converti en
espace ; la prévision des phénomènes n'est
possible elle-même que par cette conversion en espace.
III)
" Le temps pourrait ... la même fatigue d'attendre " :
confirmation par une expérience de pensée ; c'est
une hypothèse purement théorique (cf. conditionnel) :
pour la science, rien ne serait changé si le temps s'accélérait ;
mais pour la conscience, tout serait changé.
Commentaire.
I-
Bergson fait une différenciation entre TEMPs RÉEL
et temps mathématique. Le temps n'est pas mesurable.
Forme
argumentative : thèse et explicitation de la thèse
par idée centrale du concept de temps.
1)
thèse :
" Le
temps réel échappe aux mathématiques "
|
-annonce
que le texte portera sur nature du temps ; c'est une
interrogation ontologique, qui portera sur réalité
profonde de l'être ; celle-ci déterminera une
interrogation épistémologique sur le temps :
la question sera de savoir, en conséquence, comment on peut
le connaître (par la science ? ou par la conscience ?).
-2
présupposés :
- les
mathématiques croient connaître le temps ; or,
ces dernières n'y parviennent pas ; du moins, elles
ne parviennent pas à saisir le temps réel, véritable
(science = victime d'une illusion)
- et :
il y a une réalité, une essence du temps (NB
: l'essence s'oppose à l'accident : c'est la réalité
invariante et profonde d'un être. L'accident, c'est ce qui
arrive à l'essence, mais qui ne lui appartient pas. Exemple :
que je porte une robe blanche ou rouge, je suis la même personne :
c'est un accident).
2)
Explicitation de cette thèse par analyse du concept même
de temps : il est impossible aux mathématiques de
saisir le temps réel, étant donné ce qu'est
le temps dans son essence.
" Son
essence étant de passer, aucune de ses parties n'est
encore là quand une autre se présente. La superposition
de partie à partie en vue de la mesure est donc impossible,
inimaginable, inconcevable. Dans le cas du temps, l'idée
de superposition impliquerait absurdité, car tout effet
de la durée, qui sera superposable à lui-même,
et par conséquent mesurable, aura pour essence de ne
pas durer "
|
a)
Définition (essentielle) du temps :
Il
" passe " : il n'est pas quelque chose
de fixe, c'est une succession irréversible de moments ou
d'instants, tous différents. Aucun ne vaut l'autre.
b)
Le temps n'est donc pas mesurable
C'est
pour ça que le temps n'est pas mesurable. Mesurer = ce qui
est spécifique aux math ; domaine de la quantité ;
de la superposition de partie à partie (on rend tout mesurable,
i.e., on le transforme en nombre ; tout est équivalent
car quand on mesure une chose on la rend homogène ...
Cf.
montre : tous les instants se valent
Cf.
statistiques : ce qui au niveau individuel est propre à
chacun, devient au niveau social, quantifiable, pareil...
Mesurer,
c'est superposer des choses en disant que l'une vaut pour l'autre,
est représentative de l'autre.
c)
La réalité du temps
- Noter
que Bergson dit que c'est le temps lui-même qui passe :
il en parle comme d'une substance, d'une chose extérieure
à nous, qui est " réelle " ;
pas conception idéaliste ou subjective du temps ; le
temps existe, est une réalité profonde. Dire que le
temps est une succession d'instants dont aucun n'est encore là
quand un autre se présente, ne mène donc pas, contrairement
à St Augustin, à dire que le temps n'est rien,
n'est qu'évanescence.
- Le
problème c'est que Bergson dit à la fois que le temps
est devenir et n'est pas quelque chose de " fixe "
mais en éternel mouvement ; et que le temps " est ".
Le temps est substantiel mais en devenir. C'est un devenir substantiel :
c'est ce qu'il nomme la durée.
II-
Justification et approfondissement de sa thèse. Question :
que mesurent alors les mathématiques ? Sous-question :
ne peuvent-elles en appréhender au moins un aspect ?
Nous
savions bien, depuis nos années de collège,
que la durée se mesure par la trajectoire d'un mobile
et que le temps mathématique est une ligne ; mais
nous n'avions pas encore remarqué que cette opération
tranche radicalement sur toutes les autres opérations
de mesure, car elle ne s'accomplit pas sur un aspect représentatif
de ce qu'on veut mesurer, mais sur quelque chose qui l'exclut.
La
ligne qu'on mesure est immobile, le temps est mobilité.
La
ligne est du tout fait, le temps est ce qui se fait et même
ce qui fait que tout se fait.
Jamais
la mesure du temps ne porte sur la durée en tant que
durée : on compte seulement un certain nombre
d'extrémités d'intervalles ou de moments, i.e.,
en somme, des arrêts virtuels du temps.
Poser
qu'un événement se produira au bout d'un temps
t, c'est simplement exprimer qu'on aura compté, d'ici
là, un nombre t de simultanéité
d'un certain genre.
|
a)
Forme argumentative :
B.
fait ici une sorte d'autobiographie intellectuelle, comme Descartes
au début des Méditations. C'est évidemment
purement imaginaire : c'est un parcours typiquement philosophique,
il s'agit de sortir de l'opinion (caverne) et d'aboutir au savoir.
Dans l'enfance, tout comme le sens commun (cf. fin texte), il croyait
à la réalité du " temps "
mathématique, celui des montres ou de la physique mathématique.
b)
B. nous dit donc ici de façon plus précise ce
qu'est le temps mathématique, en nous montrant ce qu'il
saisit réellement (quel est le référent ...?).
Définition temps
mathématique : une ligne. Caractéristiques :
immobile, inerte ; du tout fait : pas ordre du devenir,
de ce qui se fait (cf. simultanéité).
A
partir de là, B. va montrer que ce que saisissent les math,
quand croient mesurer le temps, ce n'est pas du temps, mais de l'espace.
Il le montre de deux manières :
- En
montrant d'abord à quoi s'applique la mesure :
(note : on mesure la trajectoire d'un mobile) La mesure s'applique
donc à des grandeurs d'ordre spatial. La mesure est donc
une opération qui suppose que l'on superpose un certain nombres
d'objets, un certain nombre de fois. Distinction sous-entendue par
Bergson : trajectoire et trajet (le temps c'est le trajet, ce qui
passe, ce qui devient, ce qui se meut). La trajectoire, ce sont
les arrêts (virtuels) du trajet, les étapes. Or, je
ne peux pas diviser le trajet, car c'est un mouvement continu,
un tout indivisible. Je peux diviser la trajectoire en autant de
parties que je le désire. Mais alors, ce n'est plus le mouvement
que je mesure, c'est sa trace spatiale. (Argument de Zénon
selon lequel on ne peut recomposer le mouvement à partir
de l'immobilité).
- Ensuite,
par l'opposition de ce que saisit la mesure par rapport aux caractéristiques
essentielles du temps: défini, déjà, comme
ordre du devenir. Il n'est donc pas " immobile ",
fixe. B. ajoute ici une autre caractéristique du temps :
il est création. Ailleurs, il dit que " le temps
est création incessante d'imprévisible
nouveauté ". NB : une chose n'est pas
possible avant d'être réelle. Avant d'être réelle,
une chose n'est pas programmée pour être quelque chose.
Ce qui advient dans le monde est une création imprévisible.
Sinon, le temps n'est pas créateur..
On
peut ajouter que si dans l'espace il y a réversibilité,
le temps est caractérisé par la succession irréversible.
Ce qui est donné dans le temps ne peut donc être parcouru
de manière réversible.
- Conséquence :
Quand on mesure le temps, on s'intéresse au temps immobilisé
(donc, à l'espace). Il y a donc une absurdité à
vouloir mesurer le temps réel. La mesure du temps ne porte
que sur de l'immobile, de l'inerte. Or, le temps réel (durée)
est avant tout mobilité. Cela explique donc sa thèse
initiale suivant laquelle la division du temps en parties homogènes
ne correspond pas à la réalité profonde du
temps.
On
a donc crée des artifices, des représentations symboliques,
afin de pouvoir penser le temps. Mais cela signifie que la mesure
du temps ne s'appuie pas sur un aspect représentatif du temps !
c)
Dernière objection : pourtant, la mesure du temps
est requise pour prévoir les phénomènes :
il y a continuité entre la mesure mathématique
et la prévision (de la science).
Note
: le temps mathématique n'est pas seulement le temps de nos
montres mais le temps de la physique mathématique.
Pour
Bergson, l'anticipation n'est prospective que parce qu'elle
est avant tout rétrospective. C'est ce que Bergson
appelle " l'illusion rétrograde du vrai ".
La science quitte le temps réel pour se placer au niveau
du tout fait et pratiquer une reconstruction logique qui va inverser
le mouvement de la durée. Pour la science, le possible précède
le réel. La logique rétrospective rejette dans la
réalité, à l'état de possible, les réalités
actuelles. La science nie/oublie, le caractère créateur
du temps, car elle postule que ce qui est vrai aujourd'hui a été
vrai de tout temps.
La
science est infidèle au temps qu'elle présuppose,
alors qu'elle prétend saisir le temps réel.
III-
Confirmation par une expérience de pensée. Conséquence
et conclusion : c'est par la conscience qu'on saisit le temps
(présuppose : la conscience est de même nature
que le temps, elle est temporelle)
Entre
les simultanéités, se produira tout ce qu'on
voudra. Le temps pourrait s'accélérer énormément,
et même infiniment : rien ne serait changé
pour le mathématicien, pour le physicien, pour l'astronome.
Profonde serait pourtant la différence au regard de
la conscience. Ce ne serait plus pour elle, du jour au lendemain,
d'une heure à l'heure suivante, la même fatigue
d'attendre. De cette attente déterminée, et
de sa cause extérieure, la science ne peut tenir compte :
même quand elle porte sur le temps qui se déroule
ou se déroulera, elle le traite comme s'il s'était
déroulé. C'est d'ailleurs fort naturel. Son
rôle est de prévoir. Elle extrait et retient
du monde matériel ce qui est susceptible de se répéter
et de se calculer, par conséquent ce qui ne dure pas.
Elle ne fait ainsi qu'appuyer dans la direction du sens commun,
lequel est un commencement de science : couramment, quand
nous parlons du temps nous pensons à la mesure de la
durée, et non pas à la durée même.
Mais
cette durée que la science élimine, qu'il est
difficile de concevoir et d'exprimer, on la sent et on la
vit.
|
Les
appareils ne seraient pas capables de mesurer l'accélération
du temps, car elle serait qualitative. Les calculs resteraient toujours
valides. Ce n'est qu'au niveau de la conscience qu'un changement
profond aurait lieu. La vitesse du déroulement de la durée
échappe donc aux mathématiques.
Le
temps vécu par la conscience est irréductible au temps
construit par les mathématiques. Seule la conscience est
capable de faire l'expérience de la durée, comprise
comme une réalité indivisible.
Le
temps = durée vécue par la conscience. On vit ou on
éprouve le temps, on le connaît pas (concept = pareil
que la mesure).
Intérêt
philosophique. Discussion sur la nature du temps, mais aussi, sur
le statut de la métaphysique
A-
Le temps : objectif ou subjectif ? Réel ou apparent ?
Position
originale de Bergson : il fait du temps un processus créateur,
quelque chose de réel, (il y a une réalité
absolue du temps. Le temps est une création incessante, il
est ce qui fait qu'il y a un monde), mais en même temps, comme
de même nature que la conscience -qui dès lors, peut
seule le saisir.
Il
s'oppose à St Augustin. Et à Kant, pour
qui le temps est construit par la pensée. Il semble que ce
soit le temps qui est condition de possibilité de la conscience,
non l'inverse. C'est comme s'il conciliait Newton et Kant...
B-
Pour Bergson, une connaissance métaphysique est possible.
Alors
que pour Kant, on ne peut connaître les choses en soi, mais
les phénomènes seulement. Pour Bergson, au contraire,
il y a deux sortes de connaissance : la science, et la métaphysique.
Elles se caractérisent par l'objet qu'elles connaissent :
la première a pour tâche de connaître la matière,
qui est la surface de la réalité. La seconde, la durée,
l'esprit, qui est le fond du réel.
Problème :
que vaut le recours à la conscience comme preuve de quelque
chose ? Cf. illusions possibles de la conscience ; pas
susceptible d'un accord universel ; sensation immédiate,
etc.
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